The White Album
Beaucoup de gens que je connais à Los Angeles pensent que les années 60 se sont terminées brusquement le 9 août 1969, au moment exact où la rumeur des meurtres sur Cielo Drive a voyagé comme un feu de brousse à travers la communauté, et dans un sens c'est vrai. La tension a éclaté ce jour-là. La paranoïa s'est accomplie.
The White Album (L’Album Blanc) est un essai de Joan Didion publié en 1979, complété de quelques-unes de ses meilleures chroniques parues à l’époque dans Life, Esquire, The Saturday Evening Post, The New York Times ou encore The New York Review of Books.
Tenante du Nouveau journalisme, à l’instar d’un Tom Wolfe ou d’un Norman Mailer, elle écrit à la 1ère personne, le style est aiguisé et les détails précis. Elle ne s’embarrasse pas de contexte. Insolemment subjective, elle nous livre ici ses pensées les plus intimes ce qui rend le livre d’autant plus puissant qu’il est finalement très personnel.
Le texte se compose de flashbacks décousus, où telle dans une salle de montage, les rushes se recoupent sans fin, comme pour mieux retranscrire l’essence apocalyptique de la fin des Sixties à Los Angeles, où plus rien ne semble faire sens ni suivre de fil narratif intelligible. L’Amérique elle-même est en train de basculer et de perdre tous ses repères, Joan Didion nous en livre une capsule temporelle.
Le 23 septembre 1967, son article « Slouching Towards Bethlehem » (En rampant vers Bethlehem) paraissait dans le Saturday Evening Post. Il s’ouvrait avec le poème The Second Coming (1919) de William Butler Yeats.
Things fall apart; the center cannot hold;
Mere anarchy is loosed upon the world . . .
Surely some revelation is at hand;
Surely the Second Coming is at hand . . .
And what rough beast, its hour come round at last,
Slouches towards Bethlehem to be born?Tout se disloque. Le centre ne peut tenir.
L’anarchie se déchaîne sur le monde…
Sûrement que quelque révélation, c’est pour bientôt.
Sûrement que la Seconde Venue, c’est pour bientôt…
– Et quelle bête brute, revenue l’heure,
Traîne la patte vers Bethléem, pour naître enfin ?
Des vers aux allures d’épitaphe pour ce reportage sur la culture des jeunes et leur usage de la drogue réalisé dans le quartier de Haight-Ashbury à San Francisco, et dont le récit se termine avec Susan, cette gamine de cinq ans aux lèvres bizarrement blanches. Depuis un an, sa mère la fait carburer à l’acide et au peyote, Mind Expansion oblige. Déjà le glauque prend le pas sur l’utopie pour ces enfants de l’American Dream.
Elle en fera le titre de son deuxième livre publié en 1968, et qui rassemblera d’autres de ses articles parus dans la presse. En préambule, elle décrira la nécessité pour elle d’accepter « le désordre » ("it would be necessary for me to come to terms with disorder”). Cette fois-ci au hasard de la violence ordinaire répond une agitation interne, son corps la lâche. L’année où elle est pourtant nommée « Woman of the Year » par le Los Angeles Times.
À cette date, Joan Didion, la fille de Sacramento, diplômée de Littérature Anglaise à l’Université de Berkeley en 1956, est passée par New York où elle a fait ses armes chez Vogue pendant près de huit ans, et où elle s’est mariée à l’écrivain John Gregory Dunne. Désormais installés en Californie avec leur fille Quintana âgée de deux ans, le couple collabore pour plusieurs journaux et planche sur divers scénarios pour la télévision et le cinéma. Faisant, de ce fait partie du gratin d’Hollywood, ils leur arrivent d’être fréquemment cités dans la rubrique « Great Life » du Hollywood Reporter tout comme Bianca Jagger, Paul Morrissey ou Linda Ronsdadt.
Leur maison sur Franklin Avenue se situe dans un ancien quartier huppé d’Hollywood à présent voué à la démolition. D’immenses baraques de 28 pièces non meublées qui, jadis faisaient office d’ambassades et de consulats, sont maintenant louées au mois. Très prisées des groupes de musique, elles favorisent également l’installation de communautés en tout genre, un voisinage des plus excentriques.
La demeure de Joan Didion est à elle seule une scène de théâtre. On y croise Janis Joplin venir prendre un « verre » de brandy-and-Benedictine après un concert, une baby-sitter qui lui confiera voir la mort dans son aura, un soi-disant livreur de Chicken Delight , ou une ancienne camarade de classe qui, après 14 ans, refait surface en tant que détective privée. Il n’est pas rare qu’elle reçoive des coups de fils farfelus de personnes voulant la sauver via la scientologie ou l’embrigader dans des affaires de drogue. C’était une période étrange, et pourtant peu de choses arrivaient à la surprendre.
Elle évoque un instant l’affaire Jody Fouquet, symbole de cette violence ordinaire, totalement arbitraire et sans logique apparente. À 7h15 du matin, le 25 octobre 1969, Thomas Craven de la California Highway Patrol vient porter secours à Jody Fouquet, petite fille de cinq ans, abandonnée par sa mère en plein milieu de l’autoroute et qui passera toute la nuit sur le terre-plein central. Betty Lansdown Fouquet, 26 ans et mère de sept enfants, affirmera pour sa défense avoir commis ce geste dans le but de sauver la vie de sa fille. Son mari, Ronald Fouquet, 31 ans, ayant menacé de la laisser mourir dans le désert. Betty a eu quatre enfants d’un premier mariage avec Billy Joe Lansdown. Ronald se trouve être le beau-père de Jody et le père de ses trois derniers enfants. Personnage violent, il assène régulièrement des coups à toute la famille.
Lors de cette affaire, la justice se rendra compte qu’un des enfants manque à l’appel, le petit Jeffrey est introuvable. Betty passera alors aux aveux. Elle va raconter comment, trois ans plus tôt, en 1966, Ronald battit à mort le petit enfant, lui-même âgé de cinq ans au moment des faits. Elle décrira un Ronald jaloux ne supportant pas que Jeffrey soit le fils d’un autre homme. La police avait bien découvert le corps d’un petit garçon au pied d’une digue, mais son état de décomposition avancé n’avait pas permis de l’identifier. Après sa mort, le corps de Jeffrey fut empaqueté dans une modeste valise. Elle, son mari, et trois autres de ses enfants roulèrent dans le désert où Jeffrey fut tout simplement balancé de la voiture.
Joan Didion s’arrête également sur le meurtre de l’acteur Ramón Novarro, âgé alors de 69 ans. Star mondiale du cinéma muet depuis son rôle dans Ben Hur (1925), il sera brutalement assassiné chez lui à Laurel Canyon, à quelques encablures d’où elle habite.
Après Bob Dylan et le Greenwich Village, Laurel Canyon était devenu l’épicentre de la révolution rock. De New York à Los Angeles, la scène musicale avait posé ses valises à l’Ouest. Tout le monde déménagea à Laurel Canyon. Acteurs, musiciens, artistes formaient une communauté des plus ouvertes où régnaient liberté et émulation créative. Dans le voisinage : les Rolling Stones, Frank Zappa, Joni Mitchell et Graham Nash, Neil Young, David Crosby, les Byrds, les Turtles, les Doors, Buffalo Springfield…, pour ne citer qu’eux.
There was a lot of freedom. There was a lot of drugs. There was a lot of beautiful women. There was a lot of good rock n’ roll being made. It was a fabulous time.
Il y avait beaucoup de liberté. Il y avait beaucoup de drogue. Il y avait beaucoup de belles femmes. Il y avait beaucoup de bon rock n’ roll qui se créait. C’était une époque fabuleuse.
(Graham Nash, guitariste du groupe Crosby, Stills & Nash, dans l’épisode 10 : « Sex, Drugs, and Rock N’ Roll (1960-1969) » de la série documentaire sur les Sixties. Cf. Notes en bas de l’article).
Et pourtant, le 30 octobre 1968, les frères Ferguson viendront briser ce cadre idyllique. Neuf jours plus tôt, Thomas Ferguson, 17 ans, débarque à Los Angeles chez son frère Paul, 22 ans, qu’il n’a pas vu depuis deux ans. Il vient de s’échapper d’une maison de correction dans l’Illinois. Les deux frères n’ayant grandi que très peu de temps sous le même toit, ne sont pas vraiment proches.
Issus d’une famille de dix enfants, le père était cordiste et trimballait sa famille d’un coin à l’autre, entre l’Alabama et l’Illinois. Quand il n’était pas absent pendant des semaines, il préférait s’adonner à l’alcool plutôt que de pourvoir aux dépenses alimentaires ou au paiement du loyer. Paul affirmera s’être prostitué dès l’âge de 10 ans pour subvenir aux besoins de sa famille. À 14 ans il mettra définitivement les voiles. Parti en auto-stop, il travaillera dans divers ranchs au Mexique et dans le Wyoming. À 15 ans, il rejoint l’armée en mentant sur son âge. Il en sera libéré honorablement l’année suivante.
Thomas, quand à lui, passe de centres de détention pour mineurs à des séjours en établissements psychiatriques. Il fuguera dès l’âge de 15 ans. Lorsque Thomas arrive chez lui, Paul est marié à Mari depuis trois mois. Les deux tourtereaux se sont connus via Larry Ortega, le frère de Mari, un prostitué qui joue les macs de temps à autre. Paul vient de se faire virer de son dernier boulot et lui et Mari sont sans-le-sou. La tension monte et Mari part vivre un temps chez ses parents. Paul décide alors d’arranger un coup pour « Tommy ». Il appelle donc Victor Nichols, un promoteur immobilier ayant des liens avec le monde de la prostitution, et on lui donne le numéro de téléphone d’un certain Novarro.
Les années 60 sont loin d’être une époque de tolérance et l’acteur vit son homosexualité de manière cachée. Il lui arrive souvent de faire appel à des escorts. Voilà comment, par les hasards de la vie, les frères Ferguson se sont retrouvés chez lui, en cette veille d’Halloween.
Après des années d’alcoolisme, la carrière de Novarro est depuis longtemps sur le déclin. Cela ne l’empêche pas de vouloir impressionner les frères Ferguson qui pensent sans doute être tombés sur la poule aux œufs d’or. L’alcool aidant les choses dégénèrent. Paul et Thomas comptaient trouver 5000 dollars, ils repartiront avec 20 dollars en poche et laisseront un cadavre tuméfié, nu, sanguinolent, ligoté à une corde électrique. L’autopsie révèlera que Novarro s'était étouffé avec son propre sang, en raison de multiples blessures traumatiques au visage, au cou, au nez et à la bouche.
De l’été 1968, Joan Didion dira : « une crise de vertiges et de nausées ne me semble pas aujourd’hui constituer une réaction inappropriée » (“an attack of vertigo and nausea does not now seem to me an inappropriate response”). Et pour cause, à la violence ordinaire répond la violence politique. En à peine deux mois, l’Amérique a successivement perdu deux de ses plus grands leaders : Martin Luther King, assassiné, le 4 avril 1968 à Memphis, Tennessee, et Bobby Kennedy, assassiné le 5 juin 1968 (il meurt le lendemain) à Los Angeles, après avoir remporté la primaire démocrate en Californie. Et Lauren Bacall de pousser ce cri :
I mean, what happens to the country? I mean, you wonder if it’s worth saving, you know. What is it? What’s left of this country?
Je veux dire qu’arrive-t-il au pays ? Je veux dire, c’est à se demander si ça vaut la peine de le sauver, vous savez. Qu’est-ce que c’est ? Que reste-t-il de ce pays ?
(Épisode 8 : « 1968 » de la série documentaire sur les Sixties. Cf. Notes en bas de l’article).
Mais il nous faut rembobiner le film pour comprendre à quel point le poison de la violence a imbibé toutes les strates de la société américaine témoignant d’une crise générale des valeurs politiques et morales qui secoue l’Amérique des Sixties.
Le 8 novembre 1960, John Fitzgerald Kennedy remporte la présidentielle face au républicain Richard Nixon, qui n’est autre que le Vice-président d’Eisenhower (1953-1961). La Dream Team de Harvard, les Best and Brightest accèdent donc à la Maison Blanche en ce début d’année 1961. Kennedy est jeune, à peine 43 ans. Beau, brillant, dynamique, dans l’air du temps, il incarne un souffle de renouveau et d’espoir, dans une Amérique où un Américain sur deux a moins de trente ans. C’est un président qui leur ressemble. Il « devint le héros de tous ceux qui restaient convaincus que l’Amérique, par son intelligence, ses ressources et sa qualité de vie, constituerait un modèle qui démontrerait pacifiquement la supériorité de son système et de ses institutions sur la barbarie des régimes communistes.[1] » En somme le souhait d’une Amérique plus juste, moins puritaine et plus humaniste.
Beaucoup attendent également de lui qu’il confirme par une loi les Droits Civiques des Noirs. « Dans les États du Sud, les Noirs sont toujours considérés comme des citoyens de seconde zone. Depuis 1896, leur vie sociale est réglée par la formule « separate but equals » séparés mais égaux. Le fondement de tous les apartheids.[2] » Ils n’ont pas de droit de vote, contrairement aux États du Nord, et en plus d’être exploités, sont souvent victimes de lynchages et d’exécutions sommaires. Ainsi, les populations des villes industrielles du Nord, les jeunes, les Noirs, les femmes, les étudiants et les intellectuels sont derrière Kennedy. Mais il ne faut pas s’y tromper, avec une participation record et un écart d’à peine 113 000 voix avec Nixon, soit 0,07%, l’Amérique est bel et bien coupée en deux.
Pour donner des gages aux Républicains, Kennedy va maintenir en poste Allen Dulles et Edgar Hoover, respectivement patrons de la CIA et du FBI, même si ces derniers restent totalement assimilés à la Guerre Froide et au Maccarthysme. Autant dire que le temps des combines n’était pas prêt de s’arrêter.
Le Président doit également composer avec les « Dixiecrates », ces parlementaires démocrates des États du Sud, ségrégationnistes et pour la plupart ultraconservateurs. À l’origine, Dixie ou Dixieland, était le surnom donné au territoire couvert par les anciens États confédérés d’Amérique, à savoir la Caroline du Sud, le Mississipi, la Floride, l’Alabama, la Géorgie, la Louisiane et le Texas, auxquels se sont rajoutés quatre autres États sécessionnistes, la Virginie, l’Arkansas, le Tennessee et la Caroline du Nord. On leur associait parfois les États également esclavagistes qu’étaient la Virginie Occidentale, le Missouri, le Kentucky et le Maryland, mais qui eux restèrent fidèles à l’Union durant la Guerre Civile ou Guerre de Sécession (1861-1865).
Pour bien comprendre, en cette année 1961, tous les gouverneurs de ces États, sans exception, sont des démocrates. « Aucun Sudiste n’aurait condescendu à voter républicain, le parti de Lincoln et de Grant, de l’Émancipation et de la Reconstruction. Paradoxe permanent du parti démocrate, libéral et progressiste au Nord, ségrégationniste et conservateur au Sud.[3] » Abraham Lincoln et Ulysses S. Grant étaient tous deux républicains. Respectivement 16ème Président des États-Unis (1861-1865) et 18ème Président des États-Unis (1869-1877), l’un proclama l’abolition de l’esclavage en 1863 quand l’autre commandait les armées Unionistes durant la Guerre de Sécession. On comprend mieux alors les vieux relents et l’aversion pour le parti républicain encore présents à cette époque. Or, c’est bien en ces terres démocrates que sévissent en toute impunité les suprématistes blancs et où s’applique tout l’attirail des lois ségrégationnistes appelées « Jim Crow ». Les Noirs voulaient évidemment briser définitivement les chaînes de la domination et que les décisions de la Cour Suprême s’appliquent enfin dans ces États du Sud.
Pour l’aider, Kennedy va s’appuyer sur le second du ticket démocrate, Lyndon Baines Johnson, Texan et politicien avisé, il est également leader de la majorité sénatoriale. Même si pour l’instant, le Président se retrouve les mains liées, ne disposant pas de majorité « libérale » au Congrès. Il faudra donc patienter et attendre tout du moins que passent les « midterms » de novembre 1962 pour voir une quelconque avancée sur le terrain des Droits Civiques.
À dire vrai, en cette année 1961, l’attention de JFK est plutôt tournée sur l’Union Soviétique. Dans la ligne droite de la doctrine de « containment » (maintien des communistes dans leurs limites territoriales) énoncée par Truman (Président des États-Unis de 1945 à 1953) dont la logique amena Eisenhower à soutenir la dictature sanguinaire de Batista à Cuba ou encore le régime despotique de Diem au Sud-Vietnam, Kennedy voit d’un très mauvais œil la tête de pont offerte aux Soviétiques par Castro à une centaine de kilomètres des côtes américaines.
Après le fiasco de la Baie des Cochons, le 20 avril 1961, opération qu’il valide pourtant, le Sommet de Vienne des 3 et 4 juin 1961 entre John Kennedy et Nikita Khrouchtchev, se solde par un échec. Cette rencontre avait pour but de tenter d’apaiser les tensions entre les deux blocs. Or, les essais nucléaires soviétiques reprennent dès le 5 août, et fin août le Premier Secrétaire du Parti Communiste de l’Union Soviétique finit la construction de “son” mur de Berlin. La tension ne cessera de s’exacerber avec le leader russe pour culminer lors de la 2ème crise de Cuba, où du 16 au 28 octobre 1962, on frôle carrément la Troisième Guerre Mondiale, avant que Khrouchtchev ne finisse par remballer ses missiles nucléaires.
Le conflit aurait pu signifier la destruction mutuelle en emportant toute la planète avec. L’idée d’une guerre nucléaire est dans toutes les têtes et est loin d’être une notion abstraite pour les Américains qui ressortent de cette crise traumatisés. Société de consommation oblige, les abris anti-aériens ont la cote, les bunkers se veulent de plus en plus sophistiqués. Quant aux petits Américains, depuis Truman et l’instauration des « school drills », ils sont périodiquement soumis à des simulacres d’attaque nucléaire où on leur apprend à se cacher sous leur table d’écolier tel Bert la Tortue. Pas de quoi rassurer donc. Le sang-froid de Kennedy dans cette affaire fut en tout cas remarquable et lui permit de redorer son image à l’internationale. Alors, à défaut de se livrer une guerre conventionnelle, la compétition entre les deux puissances aura lieu dans l’espace.
Depuis le Bip-Bip d’octobre 1957, son du signal émis par le Spoutnik russe, premier satellite mis en orbite par la technologie humaine, à 900 kilomètres au-dessus de nos têtes, la science spatiale américaine était en retard. Le 12 avril 1961, les savants russes envoient cette fois-ci en orbite le premier homme dans l’espace. Youri Gagarine effectue un vol de 108 minutes à bord du vaisseau Vostok 1. Ça en est trop pour Kennedy qui se présente devant le Congrès le 25 mai 1961. Il propose un budget rehaussé de 7 à 9 milliards de dollars afin de financer la conquête de la Lune. C’est la naissance du projet Apollo. L’objectif : envoyer et ramener en toute sécurité un homme sur la Lune au cours de la prochaine décennie. Il reçoit le soutien de l’écrasante majorité du Congrès.
Truman avait ordonné la reprise des recherches et des essais sur la Bombe H, la bombe atomique thermonucléaire ; Eisenhower dans son discours de fin de mandat mettait bizarrement en garde contre la militarisation incontrôlée de la société. On était en plein dedans. Suite à la crise des missiles de Cuba, un nouveau budget militaire fut présenté devant le Congrès. En hausse considérable, il devait s’ajouter au budget de la NASA pour le projet Apollo. La proposition passa sans difficulté. Tout cet argent, qu’il faut compter en milliards de dollars, aurait pu servir à financer les réformes sociales et éducatives tant attendues, dans un pays où un Américain sur cinq, soit 20% de la population, vit encore sous le seuil de pauvreté. Or, avec un chômage atteignant le taux record de 8% et une croissance inférieure à 4 points, la nouvelle administration choisit de répondre à la récession par une injection massive de crédits militaires. Du capitalisme à la planification, la frontière devenait de plus en plus ténue.
Le 17 mai 1954, la Cour Suprême des États-Unis déclarait inconstitutionnelle la ségrégation dans les écoles. Neuf ans plus tard, George C. Wallace, le gouverneur de l’Alabama, tentait toujours d’interdire la scolarisation de deux jeunes étudiants noirs à l’Université d’Alabama de Tuscaloosa. Vivian Malone et Jimmy Hood, tous deux âgés de vingt ans, furent bien malgré eux les héros d’un feuilleton qui tint en haleine toute l’Amérique à l’heure où prêt de 88% de la population disposait d’un poste de télévision.
Le 7 juin 1963, le gouverneur Wallace ordonne la présence de 500 « Alabama National Guardsmen » (Gardes Nationaux d’Alabama) aux abords de l’université. Le 11 juin 1963, la situation devenant intenable et ne voulant pas réitérer l’expérience vécue par James Meredith, cet étudiant noir et ancien de l’US Force, à qui il fallut trois mois et la présence de 400 agents fédéraux pour être enfin inscrit à l’Université d’Oxford au Mississippi, et dont les émeutes coûtèrent la vie de deux personnes en 1962, le Président Kennedy finit par user de son pouvoir. Faisant fi de la vieille querelle du droit des États, il fédéralise les troupes du gouverneur Wallace, ce qui eu pour objet de les placer directement sous son commandement. Un message clair était envoyé, personne n’était au-dessus des lois et désormais la lutte pour les Droits Civiques allait devenir la grande priorité de l’administration Kennedy.
Jusque-là, lui et son frère Robert Kennedy, le brillant Attorney General, avaient su désamorcer les situations avec intelligence, évitant que les violences ne dégénèrent, négociant avec les gouverneurs pour régler les problèmes au coup par coup. Mais il n’y avait pas de réelle politique pensée en faveur des Noirs. Ce sont bien ces-derniers, qui par leur courage, leur détermination et leur stratégie non violente, avec leurs nombreux sit-ins et les fameux « Freedom Riders » (les voyageurs de la liberté), qui n’hésitèrent pas à s’aventurer dans les villes les plus racistes du « Dixieland » où à chaque fois les attendaient des meutes enragées du KU KLUX KLAN et des shérifs locaux aux abonnés absents, quand ils n’envoyaient pas leurs chiens ou des canons à eau pour disperser la foule avant de procéder à des arrestations massives; ce sont bien eux qui ébranlèrent les soubassements de la ségrégation. On allait finalement les entendre. Le jour même, le Président Kennedy prononcera son magnifique « Civil Rights Address ».
“This is not a sectional issue. Difficulties over segregation and discrimination exist in every city, in every State of the Union. […] But law, alone, cannot make man see right. We are confronted primarily with a moral issue. It is as old as the scriptures and is as clear as the American Constitution. […]
Next week I shall ask the Congress of the United States to act, to make a commitment it has not fully made in this century to the proposition that race has no place in American life or law. And this Nation, for all its hopes and all its boasts, will not be fully free until all its citizens are free.”
« Ce n'est pas un problème d’ordre géographique. Des difficultés liées à la ségrégation et à la discrimination existent dans chaque ville, dans chaque État de l'Union. […] Mais aucune loi ne saurait forcer les hommes à reconnaître ce qui est juste. De fait, nous sommes confrontés à une crise des valeurs morales. Elle est aussi ancienne que les Saintes Ecritures et aussi manifeste que la Constitution Américaine. […]
La semaine prochaine, je demanderai au Congrès des États-Unis d'agir, de prendre l’engagement, ce qu’il n’a encore jamais fait au cours de ce siècle, de soutenir la proposition que le critère de race ne saurait être pris en considération dans le mode de vie ou le droit américain. Et notre nation, malgré toutes ses raisons d’espérer et de se réjouir, ne sera pas entièrement libre tant que tous ses citoyens ne le seront pas également. »
Quelques heures plus tard, Medgar Evers, militant noir des Droits Civiques et ancien combattant de la Seconde Guerre Mondiale, se faisait assassiner devant chez lui en présence de sa femme et de ses enfants, à Jackson, Mississipi.
1963, marque l’anniversaire des cent ans de l’abolition de l’esclavage. Une marche pacifique « The March on Washington for Jobs and Freedom » se tint à Washington devant le mémorial à Abraham Lincoln, le 28 août 1963. Rassemblant près de 300 000 personnes dont un quart de Blancs, ce sera la plus grande manifestation jamais organisée jusque-là dans la capitale fédérale. Un vent d’espoir pour tous ces militants et anonymes, et une manière de rappeler au Congrès l’urgence de passer dans l’année une loi forte pour les Droits Civiques. Au “We Shall Overcome”, chanson gospel interprétée par Joan Baez, succède l’inoubliable “I Have a Dream” de Martin Luther King, auxquels répond, quinze jours plus tard, le bombardement de Birmingham en Alabama. Perpétré le 15 septembre 1963 contre une église baptiste, l’attentat tue quatre jeunes filles noires et en laisse une cinquième partiellement aveugle. La route pour la liberté promettait d’être encore longue.
Au Vietnam, on observe la situation de près. Convaincus, selon la fameuse théorie des dominos, que si le Sud-Vietnam arrivait à tomber aux mains des communistes alors le reste des pays du Sud-Est de l’Asie (Laos, Cambodge, Philippines…) allaient suivre le même chemin, les États-Unis n’hésitèrent pas à installer et soutenir le régime dictatorial du catholique Diem. Tyran avéré à la tête d’un régime corrompu et isolé, dont l’armée était entraînée et financée par la CIA, il s’en prendra continuellement aux Bouddhistes, exclus de la vie politique et pourtant majoritaires dans le Sud. Certains bonzes iront même jusqu’à s’immoler par le feu en signe de protestation. En juin 1961, on pouvait compter quelques 600 « conseillers militaires américains» (US military advisors) sur place. En août 1963, alors que Diem organise la répression des bonzes à tout le Sud-Vietnam, pas moins de 16 000 soldats américains se trouvent désormais dans le pays.
D’un point de vue éthique et moral, les États-Unis se trouvent en porte-à-faux. Jusqu’où aller pour contenir les communistes dans leurs frontières ? Alors que Kennedy avait promis paix et prospérité au reste du monde, la vitrine offerte par Diem était des plus embarrassantes. Le 1er novembre 1963, c’est en tout cas un coup d‘État victorieux qui en finira avec ce président haï, sous l’œil vigilant des Américains.
À peine quelques jours plus tard, le 22 novembre 1963, une onde de choc va traverser l’Amérique. Le Président Kennedy vient de se faire assassiner à Dallas, Texas, en pleine parade officielle. La balle d’un sniper a atteint son cerveau. Il meurt à 1h de l’après-midi. Sans doute le début du crépuscule et le tournant des Sixties.
Lyndon B. Johnson en tant que Vice-président assure l’intérim et se fera élire 36ème Président des États-Unis aux élections de novembre 1964. Les préoccupations restent inchangées, l’administration Johnson a toujours les yeux rivées sur le Vietnam.
Le 2 août 1964, on apprendra par voie de presse que trois PT boats (vedettes-torpilleurs), identifiés par le département d'État américain comme étant nord-vietnamiens, ont attaqué l'USS Maddox, un destroyer qui opérait dans le Golfe du Tonkin, à environ 60 kilomètres au large des côtes nord-vietnamiennes. La réalité des faits est que cette attaque répondait à des opérations secrètes dirigées par les États-Unis contre le Nord-Vietnam. Deux jours plus tard, la presse fait écho de nouveaux combats naval dans ce même Golfe du Tonkin, citant des sources non officielles. Cette information se révèlera être inexacte et n’être qu’un prétexte pour montrer du muscle.
L’Amérique va succomber à la pression de son aile droite tendant de plus en plus l’oreille à ses conseillers militaires. Cela va se traduire par la résolution du Golfe du Tonkin du 7 août 1964 qui va accorder au Président Johnson les pleins pouvoirs. Il pourra désormais utiliser toute la force militaire américaine qu’il jugera nécessaire pour défendre les intérêts américains sans contrôle préalable du Congrès. C’est ainsi que les États-Unis vont entrer peu à peu dans un engrenage des plus mortifères.
Johnson n’a pas le sang-froid de Kennedy et en ce début d’année 1965, il autorise l’opération « Rolling Thunder » (Grondement de Tonnerre), une campagne de bombardements soutenus contre le Nord-Vietnam. « Débarque alors le premier contingent opérationnel, trois mille cinq cents marines pour protéger la base aérienne de Da Nang, d’où partent les B-52, les gigantesques bombardiers stratégiques que construit Boeing.[4] » Le bilan est lourd, 25 000 civils tués dans l’année, l’armée américaine n’est pas réputée pour faire dans la dentelle. La jungle vietnamienne commence à sentir lourdement le napalm.
We were blowing up and burning down this country we were supposed to be saving.
Nous étions en train de faire exploser et de brûler ce pays que nous étions censés sauver.
(Neil Sheehan, ancien correspondant de l’UPI (United Press International), dans l’épisode 4 : « The War in Vietnam (1961-1968) » de la série documentaire sur les Sixties. Cf. Notes en bas de l’article).
Le 28 juillet 1965, dans une allocution télévisuelle en direct de la Maison Blanche, le Président Johnson annonce l’envoi immédiat de 50 000 soldats supplémentaires portant le total de la présence américaine sur place à 125 000 hommes. Pour ce faire, il passe le nombre du Draft Call (l’appel des jeunes garçons de plus de 18 ans en état de servir) de 17 000 à 35 000 hommes par mois.
The Draft (ou la conscription) a été mise en place lors de la 2ème Guerre Mondiale. À l’âge de 18 ans, les garçons américains devaient s’inscrire sur les listes de conscription pour une possible mobilisation. En fonction de ses besoins, l’armée faisait appel à ces jeunes qui devenaient les Drafted (les mobilisés). Avec cette ironie, qu’ils étaient considérés comme trop jeunes pour pouvoir voter mais pas pour faire la guerre. Des exemptions existaient, notamment pour ceux qui poursuivaient des études universitaires favorisant de ce fait les enfants des classes les plus aisées. Ainsi, beaucoup d’enfants de parlementaires n’iront pas ce qui ne cessera d’alimenter un sentiment d’injustice.
Aux autres, ne reste donc plus que leurs yeux pour pleurer ou la clandestinité. Peu à peu la Draft Resistance s’organise. À l’instar d’un David J. Miller, ce pacifiste de 22 ans, qui le 15 octobre 1965, n’hésitera pas à brûler publiquement sa Draft Card (son ordre d’incorporation) lors d’une manifestation à New York, risquant par là-même 10 000 dollars d’amende et une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. Des milliers de jeunes lui emboiteront le pas, avant de finir pour certains, par se perdre dans l’errance des paradis artificiels.
Tels les héros de Kerouac dans Sur la route, œuvre emblématique de la Beat Generation publiée en 1957, plusieurs milliers de jeunes allaient entamer leur voyage initiatique vers l’Ouest. Direction la Terre Promise, San Francisco, « la ville la plus délirante d’Amérique ». Là les attendaient les Beautiful People qui, à coups de LSD, promettaient fraternité, amour et paix. En quête d’un nouvel horizon et avides de trouver un quelconque sens spirituel à la vie, loin du paradigme matérialiste que proposait la société américaine, ces gamins déracinés allaient pour un temps succomber à l’appel de l’Autre Monde grâce aux merveilles de la chimie.
Découvert en Suisse, en 1938, par Albert Hofmann, chercheur des Laboratoires Sandoz, travaillant sur le développement d’analgésiques, les effets hallucinogènes du LSD furent immédiatement identifiés. Les nazis en profiteront pour conduire de multiples expériences dans le but d’éliminer la volonté des sujets traités avec l’ambition de pouvoir exercer un contrôle total sur le cerveau de leurs ennemis. La CIA qui, par la suite mit la main sur ces rapports, obtiendra le feu vert de Dulles pour approfondir ces recherches. D’importantes doses d’acide seront d’abord importées de Suisse, avant d’être peu à peu remplacées par une production domestique. Dans le but de mener à bien ces recherches de nombreuses fondations scientifiques allaient voir le jour, n’hésitant pas à poser le pied sur les campus américains.
Le LSD n’était pas encore une substance illégale et les chercheurs n’avaient pas de mal à recruter une cohorte de volontaires, payés 20 dollars la séance, venus s’offrir un “trip” aux frais de la CIA. Parmi eux, Ken Kesey, l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou (1962). Avec ses Merry Pranksters, sa bande de Joyeux Farceurs, il deviendra le chantre de la consommation d’acide et l’un des principaux artisans de la propagation du psychédélisme.
Il va ainsi organiser les Acid Tests, ces parties (fêtes) géantes, où l’acide se trouve dilué dans de grands pichets de Kool-Aid, sorte de punch, et où la musique rock, battant au son des Grateful Dead, la danse et le jeu de lumière des stroboscopes, vont permettre à la foule d’accéder au Saint-Graal. L’idée était de s’accorder avec l’Univers, libérer l’humanité de ses mauvaises vibrations par la prise de LSD et dans cet effort collectif purger le monde de sa haine et de sa laideur. Une utopie qui recrachera des milliers de toxicomanes.
Déjà en 1956, Allen Ginsberg avertissait dans le poème Howl :
I saw the best minds of my generation destroyed by madness,
starving hysterical naked,
dragging themselves through the negro streets at dawn looking for
an angry fix…J’ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits
par la folie, affamés hystériques nus,
se traînant à l’aube dans les rues nègres à la recherche d’une
furieuse piqûre…
Ces jeunes en plein désarroi, on les retrouve dans le fameux quartier de Haight-Ashbury et les seuls à s’en préoccuper et à leur venir en aide sont les Diggers, une troupe de théâtre avant-gardiste.
Chaque jour, ils récupèrent d’énormes quartiers de bœuf des boucheries alentours et cuisinent un ragoût qu’ils distribuent gratuitement. Ils organisent aussi des collectes de vêtements qu’ils entreposent dans un hangar où chacun peut venir y trouver de quoi s’habiller. Ils sont enfin une oreille attentive pour cette communauté désolée et en souffrance. Ils n’hésitent pas à publier régulièrement des communiqués qu’ils affichent en ville et dont certains font froid dans le dos :
Pretty little 16-year-old middle class chick comes to the Haight to see what it's all about & gets picked up by a 17-year-old street dealer who spends all day shooting her full of speed again & again, then feeds her 3000 mikes and raffles off her temporarily unemployed body for the biggest Haight Street gang bang since the night before last. The politics & ethics of ecstasy. Rape is as common as bullshit on Haight Street. […] Kids are starving on the Street. Minds & bodies are being maimed as we watch, a scale model of Vietnam. […] Are you aware that Haight Street is just as bad as the squares say it is?
Une jolie petite nana de 16 ans issue de la classe moyenne arrive dans le quartier de Haight pour voir de quoi il en retourne et se fait ramasser par un dealer de rue de 17 ans qui passe la journée à la bourrer de speed encore et encore, avant de lui faire avaler 3000 mikes (microgrammes de LSD, douze fois la dose de base) et de mettre à la loterie son corps temporairement inutilisé pour le plus grand gang bang dans Haight Street depuis l’avant-dernière nuit. La politique et l’éthique de l’ecstasy. Les viols sont aussi fréquents que la connerie dans Haight Street. […] Des gamins crèvent de faim dans la rue. On mutile des esprits et des corps sous nos yeux ; un Vietnam à échelle réduite. […] Savez-vous que Haight-Ashbury est devenu aussi pourri que le disent les squares ?
Chester Anderson
16 avril 1967
Du rêve au cauchemar, 1967 signe les illusions perdues des Beautiful People. Haight-Ashbury est devenu un zoo où les bus touristiques se succèdent remplis de squares (bourgeois) venus assister au spectacle de ces jeunes en perdition et où la fraternité s’est envolée depuis belle lurette. Eux qui fuyaient les carcans de leur foyer et un monde aseptisé se voyaient à présent rattrapés par la société des loisirs, devenant malgré eux objet de consommation. La boucle était bouclée.
En 1966, la Californie et le Nevada deviennent les premiers États à interdire la production, la vente et l’utilisation de LSD. En 1968, une loi fédérale américaine rendra sa possession illégale dans tous les États-Unis. La fin de récréation avait sonné. Et pourtant, comme un dernier pied de nez aux autorités, l’été 1967 fut décrété Summer of Love.
Après l’incroyable festival Pop de Monterey des 16, 17 et 18 juin, qui verra éclore Janis Joplin et se révéler Otis Redding, des centaines de milliers de jeunes allaient se rassembler dans les plus grandes villes américaines, du Golden Gate Park de San Francisco en passant par Los Angeles, New York, Detroit ou Miami, pour célébrer l’amour en musique et sous acide.
Peace, Love & Rock’n Roll, et le groupe qui cartonne en cette année 1968, ce sont bien les Doors. Depuis le succès du titre Light my Fire, sorti en single en avril 1967 et qui atteindra la 1ère place du Billboard 100 en juillet 1967, le groupe connaît une ascension éclair. Qu’il paraît loin le temps où Jim Morrison et Ray Manzarek, tous deux fraîchement diplômés de UCLA (University of California Los Angeles), se rencontraient sur une plage de Venice Beach un après-midi de juillet 1965 et décidaient de former, avec cette fougue et l’enthousiasme de la jeunesse, ce qui allait devenir l’un des plus grands groupes de rock de tous les temps, écoulant à lui seul plus de 100 millions d’albums à travers le monde. Ce même été, ils allaient être rejoints par le guitariste Robbie Krieger et le batteur John Densmore. La légende pouvait commencer.
En mai 1966, ils décrochent un contrat au Whisky A Go Go, un bar branché sur le fameux Sunset Strip, où se précipite toute la jeunesse de Los Angeles. Ils y assurent, entre autres, la première partie du groupe Them, tout droit venu de Belfast, et mené par le sulfureux Van Morrison. Les Doors sont à bonne école. Si les débuts sont assez timides, Jim Morrison ayant du mal à s’imposer face au public, il trouvera rapidement ses marques et peu à peu son jeu scénique se met en place. Alors quand il entonne les vers de sa chanson The End et y rajoute, sans doute sous l’emprise de LSD, un :
Father? Yes, son? I want to kill you
Mother? I want to fuck you all night longPère. Oui fils ? Je veux te tuer
Mère, je veux te baiser toute la nuit
Le groupe se fait carrément éjecter du bar. Qu’importe ! En novembre 1966, ils signent un contrat chez Elektra Records, pour un engagement sur sept albums.
Le 4 janvier 1967, sort donc leur premier album tout simplement intitulé The Doors. Il inclut notamment les titres Break on Through, Light My Fire et The End avec les paroles œdipiennes rajoutées à l’enregistrement. Il restera pendant près de dix mois dans le top 10 des charts américains. À peine quelques mois plus tard, le 25 septembre 1967, ils en remettent une couche avec la sortie de leur deuxième opus, Strange Days. Bien que dans l’ombre du premier album qui caracole toujours en tête des ventes, le succès commercial est au rendez-vous.
À la fin de l’été 1967, le photographe Joel Brodsky immortalise Jim Morrison posant torse nu avec son fameux pantalon en cuir, dans une série de clichés en noir et blanc, intitulée « Le Jeune Lion ». Désormais érigé en sex-symbol, le frontman des Doors fait la couverture des magazines. Il est passé en quelques semaines au statut d’icône, idolâtré par des milliers de fans. Ayant de plus en plus de mal à supporter la pression de la célébrité, il augmente alors drastiquement sa consommation de drogues et d’alcool.
En décembre 1967, c’est carrément sur scène, en plein concert, à New Haven, Connecticut, qu’il se fait arrêter par la police pour conduite indécente. Une première dans le monde du rock, qui va contribuer à forger son image de rebelle et rajouter au mysticisme qui l’entoure.
En plein set, Jim Morrison s’arrête brusquement, allume une cigarette et se met à raconter à un public médusé un incident qui venait de se dérouler quelques heures auparavant dans les coulisses. Alors qu’il se trouvait dans l’espace des douches avec une fille, un policier les surprit et ne reconnaissant pas le leader des Doors leur demanda de déguerpir. Ce à quoi le chanteur aurait répondu “Eat it!“ (Va te faire voir !). Le policier sortit alors une bombe lacrymogène avant de prévenir : “Last chance!“ (Dernière chance !) et Jim Morrison de rétorquer : “Last chance to eat it!“ (Dernière chance d’aller te faire voir !) et de finir par se faire asperger de gaz irritant. Évidemment, lors de son récit, Morrison en profitera pour se moquer ouvertement du policier en question allant jusqu’à le qualifier de « petit cochon bleu ». Les agents de police assurant la sécurité sur place ne devaient certainement pas avoir le même sens de l’humour.
Lorsqu’en janvier 1968, les Doors entrent en studio d’enregistrement pour produire leur troisième album Waiting For The Sun, l’ambiance est loin d’être au beau fixe. Joan Didion, qui au cours d’une soirée de printemps passa faire un tour au Sunset Sound Studios, rendra compte de cette tension palpable.
Jim Morrison manque à l’appel. Depuis quelques temps déjà, il a pris la fâcheuse habitude d’arriver en retard, le plus souvent en état d’ébriété quand il n’est pas complètement défoncé. L’attente, elle, se fait de plus en plus pesante pour les autres membres du groupe. Mais voilà, Jim Morrison est démotivé et en panne d’inspiration. L’enregistrement du disque prendra près de cinq mois après un processus des plus laborieux. Joan Didion, elle-même, n’en verra pas le bout (“I did not see it through”).
Le 3 juillet 1968, Waiting For The Sun, sort enfin dans les bacs. Ce sera le seul album des Doors à atteindre la place de n°1 et ce, pendant quatre semaines consécutives. Le titre Hello I Love You qui ouvre l’album, prend également la tête du Billboard et devient la meilleure vente du groupe depuis le succès de Light My Fire. Et pour la première fois, les Doors font leur entrée dans les charts anglais grimpant directement à la 16ème place.
Le 5 juillet 1968, ils enchaînent avec un concert mythique au Hollywood Bowl, le seul à avoir été filmé dans son intégralité. En première partie, rien d’autre que les Chambers Brothers et Steppenwolf. Jim Morrison est en forme, la prestation est de qualité. Tout semble aller pour le mieux. Alors c’est la stupéfaction générale, lorsqu’il annonce aux autres membres du groupe son intention d’arrêter la musique pour se consacrer exclusivement à la poésie et la production cinématographique.
Décidément, cette année 1968 était placée sous de mauvais augures.
If you look at the whole year as theater, as real acts of tragedy, there’s an almost poetic feeling to it. 1968 was one goddamn thing after another.
Si vous concevez l'année entière comme du théâtre, comme de véritables actes de tragédie, il s’y dégage un sentiment presque poétique. 1968 était une maudite chose après l'autre.
(Lance Morrow, essayiste au Time Magazine, dans l’épisode 8 : « 1968 » de la série documentaire sur les Sixties. Cf. Notes en bas de l’article).
Dans la nuit du 30 au 31 janvier 1968, le Front National de Libération du Vietnam du Sud (FNL), autrement nommé le Viêt-Cong, profitant des festivités du Têt qui marquent le passage au Nouvel An, lance une offensive générale dans tout le Sud-Vietnam. Quelques 80 000 soldats communistes vont assaillir simultanément les plus grandes villes du pays, dont Saïgon, la capitale du Sud-Vietnam. Les bâtiments clés sont visés, dont la toute nouvelle ambassade américaine, pourtant jugée imprenable. La sidération est totale. Américains et Sud-Vietnamiens sont pris complètement par surprise, exposant de ce fait la faible mainmise de l’armée américaine.
La cité impériale de Hué, capitale historique de l’Annam, ne sera reconquise que le 2 mars, au prix de combats acharnés. Elle compte parmi les batailles les plus sanglantes de la guerre du Vietnam, avec plusieurs milliers de civils exécutés, gisants au milieu d’une ville en ruines.
Si le Viêt-Cong finit par subir un échec militaire, avec la moitié de ses hommes hors de combat, dont plus de 30 000 tués et des milliers faits prisonniers, le succès politique, lui, est sans équivoque. En effet, l’impact psychologique de l’offensive auprès de l’opinion publique américaine va finir par avoir raison de l’administration Johnson.
Les États-Unis compte plus de 20 000 morts au Vietnam fin 1967, quelques 500 000 soldats engagés et des milliards de dépenses militaires, la pilule est donc des plus amères. Un certain malaise commence à se distiller auprès de la population américaine. Soit le gouvernement a menti sur le déroulement du conflit, répétant ostensiblement « nous sommes en train de gagner au Vietnam », soit il n’a aucune idée de ce qu’il se passe réellement sur place. Et Walter Conkrite, star de CBS News, de résumer le sentiment général :
It seems now more certain than ever that the bloody experience of Vietnam, is to end in a stalemate.
Il semble désormais plus évident que jamais que l'expérience sanglante du Vietnam va finir dans une impasse.
(Épisode 4 : « The War in Vietnam (1961-1968) » de la série documentaire sur les Sixties. Cf. Notes en bas de l’article).
Ce 27 février 1968, par ces quelques mots, le Président Johnson allait perdre le soutien de l’Amérique moyenne.
1968 est une année électorale et les opposants à la guerre se cherchent un nouveau leader. Comme beaucoup d’autres, Robert Kennedy est approché mais refuse la proposition. Parmi les proches du clan Kennedy, on considère que l’investiture du parti démocrate est aux mains du Président. LBJ semble imbattable, le tour de Bobby viendrait en 1972. En effet, se présenter contre le Président en place de son propre parti reste un sujet tabou.
C’est finalement Eugene McCarthy, sénateur du Minnesota, à qui incombe le rôle. Venant de l’aile gauche du parti, on ne le considère pas à ce moment-là comme un candidat potentiel sérieux. Johnson ne flaire pas le danger. Or, avec sa plateforme « Peace », McCarthy se fait la caisse de résonnance d’une grande partie de la jeunesse gagnée par la frustration et même le désespoir face à la situation au Vietnam. De nombreux étudiants vont le rejoindre, et en outre pour les besoins de la campagne et du traditionnel porte-à-porte, se couper les cheveux et se raser la barbe, avec le fameux slogan « Get clean for Gene » (Soignez votre aspect pour Gene).
Le 12 mars 1968 arrive la première primaire du parti démocrate dans le New Hampshire. Si McCarthy atteint ne serait-ce que le score de 30%, il pourra alors légitimement proclamer une importante victoire. Il obtient 42% des votes.
Le coup est rude pour Johnson qui n’a même pas fait campagne tellement sa nomination pour briguer un second mandat lui paraît évidente. Mais, en combinant tous les votes, il est en-dessous de la barre des 50%. Un tel camouflet face à un candidat quasi inconnu de tous il y a encore quelques temps, en disait long sur la vulnérabilité du Président. Au sein du parti démocrate chacun prend acte du résultat et se repositionne. Ainsi, le 16 mars 1968, Robert Kennedy annonce à son tour sa candidature à la Présidentielle des États-Unis.
Aux vues de cette nouvelle réalité politique, et dans un contexte de mécontentement général face à la guerre du Vietnam, où pas un jour ne passe sans qu’une manifestation n’ait lieu dans le pays, le Président Johnson finit par jeter l’éponge. Dans une allocution télévisuelle le 31 mars 1968, il annonce ne pas “vouloir” se représenter. C’est un séisme politique.
Lui qui empressera le Congrès de passer la loi sur le Civil Rights Act en 1964, et signera l’année suivante le Voting Rights Act, tout en initiant la mise en place de nombreux programmes sociaux comme le Medicare, restera donc à jamais lié au destin de cette guerre, jugé responsable d’avoir envoyé des milliers d‘Américains se faire décimer à l’autre bout du monde. En 1965 déjà, Johnson faisait cet aveu terrible :
… a man can fight if he can see daylight down the road somewhere, but they ain’t no daylight in Vietnam. There’s not a bit.
…un homme peut se battre s’il arrive à entrevoir plus tard la lumière au bout du tunnel, mais il n'y a pas de bout du tunnel au Vietnam. Il n'y en a pas le moindre.
(Conversation téléphonique avec Richard Russell, sénateur de Géorgie, le 6 mars 1965. Épisode 4 : « The War in Vietnam (1961-1968) » de la série documentaire sur les Sixties. Cf. Notes en bas de l’article).
Il venait ce jour-là d’en payer le prix.
C’est en ce même mois de mars, que Joan Didion se rend à la prison d’Alameda, en Californie, visiter Huey P. Newton. Ce pourrait être l’histoire banale d’un jeune noir arrêté aux États-Unis, à ceci près que Newton est l’un des fondateurs du Black Panther Party.
J’imagine que j’y suis allée parce que je m’intéressais à l’alchimie des problèmes, et un problème, c’est ce que Huey Newton était devenu entre-temps. […] À bien des égards, il était plus utile à la révolution derrière les barreaux qu’en liberté.
Le 28 octobre 1967, aux alentours de 5 heures du matin, alors que Newton se trouve au volant de sa voiture accompagné d’un ami, il se fait contrôler par John Frey, un officier de la police d’Oakland. Reconnaissant le leader des Black Panthers, Frey demande des renforts. La suite est chaotique et incertaine. Newton se fait arrêter et à partir de là des coups de feu auraient été tirés de part et d’autre. L’officier John Frey reçoit quatre balles et décède dans l’heure. Il avait 23 ans. Son collègue Herbert Heanes est lui dans un état critique, il a reçu trois balles. Quant à Huey Newton, il est amené à l’hôpital Kaiser d’Oakland pour soigner une balle reçue à l’estomac. Il sera incarcéré dans la foulée. Il risque la peine de mort, à tout juste 25 ans.
À cette date, le Black Panther Party for Self Defense n’en est qu’à ses balbutiements. Créé un an plus tôt, en octobre 1966, par Huey Newton et Bobby Seale, deux anciens étudiants du Merritt College d’Oakland, leur ligne idéologique s’inspire des figures les plus emblématiques ou radicales de l’époque, notamment le Che et Malcolm X.
À l’un ils reprendront la symbolique militaire, et à l’autre la critique du choix de la non-violence des principaux leaders de la lutte pour les Droits Civiques. Quelques mois avant son assassinat, le 21 février 1965, Malcolm X opéra toutefois un revirement en appelant à soutenir tout mouvement en faveur de la cause des Noirs, promouvant de ce fait le dépassement du nationalisme noir et ouvrant la possibilité d’alliances avec des leaders de mouvements dirigés par des Blancs, ce qui s’avèrera bien utile au moment de défendre Newton.
Les Black Panthers prônent donc l’action directe et surtout revendiquent la légitimité de l’auto-défense armée, toujours dans le stricte cadre de la légalité. Newton estime que les Noirs sont discriminés en partie parce qu’ils sont ignorants des lois et des institutions sociales qui pourraient les protéger, à savoir, entre autres, l’autorisation du port d’arme non dissimulé, en accord avec le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis et la législation de l’État de Californie toujours en vigueur à l’époque.
Cette idée que la violence puisse être considérée comme le vecteur essentiel à un quelconque changement social a fait doucement son chemin chez une portion grandissante de la jeune génération. Les Noirs sont fatigués de pleurer leurs morts et, depuis quelques temps déjà, la doctrine pacifiste de Martin Luther King, jugée inefficace voire dangereuse, est éclipsée au profit d’un militantisme plus radical.
Cette nouvelle direction s’inscrit également dans la lignée du Black Power, concept définit par Stokely Carmichael, élu en 1966, à la tête du SNCC (le Student Nonviolent Coordinating Commitee), l’une des organisations historiques du mouvement noir. Après son passage, le SNCC ne gardera la non-violence que dans le nom, Carmichael exhortant à l’autonomie politique des Noirs et à la nécessité de la conquête du pouvoir, seule condition selon lui à leur émancipation.
Présent lors de la marche de Selma en 1965, aux côtés de Martin Luther King, un journaliste l’interroge au sujet de l’usage de la violence. Voici ce qu’il en dira :
Well I just don’t see it as a way of life. I never have. But I also realize that no one in this country is asking the white community in the South to be nonviolent. And that, in a sense, it’s giving them a free license to go ahead and shoot us as will.
Eh bien, je ne le vois tout simplement pas comme un mode de vie. Je ne l'ai jamais vu. Mais je réalise également que personne dans ce pays ne demande à la communauté blanche du Sud d'être non-violente. Et cela, dans un sens, leur donne un passe-droit pour aller de l'avant et nous tirer dessus à volonté.
Épisode 5 : « A Long March to Freedom (1960-1968) » de la série documentaire sur les Sixties. Cf. Notes en bas de l’article).
À Oakland, les relations entre la police et les habitants des quartiers noirs se sont dégradées depuis bien longtemps. Entre harcèlement et passages à tabac quotidiens injustifiés, la population subit les foudres d’un racisme endémique et institutionnel moins spectaculaire que dans le Sud mais tout aussi dévastateur.
Les Black Panthers décident donc de sillonner la ville en voiture afin d’observer le bon déroulement des différentes interpellations ou arrestations, telle une patrouille de vigilanti, prête à intervenir en cas de dérapage des forces de l’ordre. Toujours à bonne distance mais bien visibles, les armes à la main, ils se veulent une force de dissuasion. Un affront pour les autorités, qui sans attendre, dégainent alors la loi Mulford, adoptée en juillet 1967, interdisant le port d’armes chargées dans l’espace public de l’État de Californie.
De fait, obligés d’abandonner les patrouilles armées, les Black Panthers vont réorienter leur action avec la mise en place de multiples programmes sociaux qui trouveront un écho considérable auprès de la population.
Ils fondent par exemple l’Oakland Community School, une école gratuite délivrant un enseignement de qualité à près de 150 enfants des quartiers pauvres. Ils ouvrent des dispensaires gratuits, pour faciliter l’accès aux soins de la communauté noire, ou encore distribuent des petits-déjeuners là aussi gratuits pour les enfants les plus pauvres. Ce sont ainsi plus de 20 000 petits-déjeuners qui seront servis chaque semaine dans 19 villes du pays, la solidarité étant leur maître-mot.
Parti de gauche, les Black Panthers se conçoivent dès le départ comme un mouvement anticapitaliste et internationaliste. Ainsi pour eux, le combat pour l’émancipation des Noirs ne s’inscrit pas dans une lutte raciale mais bien dans une lutte des classes. Ce sera d’ailleurs l’une des premières organisations noires à se réclamer du communisme dans le pays. Il n’en fallait pas plus pour être dans le collimateur d’un certain Edgar Hoover, qui plus que tout, redoute l’arrivée d’un nouveau « Messie », et n’hésitera pas à qualifier cette distribution de petits-déjeuners de danger pour la nation.
Dès lors, tout allait être fait pour discréditer le mouvement. Infiltrations, désinformation, arrestations massives, ou assassinats déguisés, les heures sombres du COINTELPRO (programme de contre-espionnage) allaient sonner.
Et pourtant, il suffit de s’attarder un instant sur le programme en 10 points élaboré par Newton et Seale, sorte de manifeste du parti, pour se rendre compte qu’il n’avait rien de bien révolutionnaire. Il se réfère d’ailleurs à la Constitution Américaine et à la Déclaration d’Indépendance. Meilleur accès au logement, à l’emploi, à l’éducation, arrêt des lynchages et des brutalités policières, justice équitable, des revendications qui semblent, aujourd’hui, aller de soi. Car si dans le Sud on combat pour les Droits Civiques, dans le Nord on manifeste surtout pour le droit au travail et à la dignité. Une profonde colère couve dans les ghettos dont le quartier de Watts garde encore les stigmates.
Comme beaucoup d’autres, Newton fait partie des enfants de la 2nde Grande Migration afro-américaine installés autour de la Baie de San Francisco. Avec son Executive Order 8802, signé le 25 juin 1941, le Président Franklin Delano Roosevelt interdisait la discrimination raciale dans l’industrie de la défense. Un appel d’air et une opportunité que saisiront plus de 5 millions de Noirs américains prêts à tout lâcher dans l’espoir d’une vie meilleure. Destination le Nord-est, le Midwest, mais également la Côte Ouest des États-Unis, vers des villes comme Oakland, Phoenix, Portland ou Seattle, qui bénéficient alors de nombreux emplois dans l’industrie militaire.
Cependant, l’accueil ne sera pas des plus chaleureux, comme en atteste la pratique discriminatoire du « redlining », consistant à empêcher certaines minorités, dont les Afro-Américains, de louer ou d'acheter des logements dans certains quartiers. Ainsi, à Los Angeles, c’est la majeure partie de la ville qui leur est tacitement interdite. Deux des rares quartiers où les Noirs peuvent s’installer sont Compton et Watts. Une ségrégation qui n’en a pas le nom mais toutes ses formes. Et à cela va venir s’ajouter une myriade d’injustices.
À logements similaires, les loyers restent beaucoup plus élevés pour les Noirs que pour les Blancs, avec des bâtisses pour la plupart insalubres et abîmées. En matière d’éducation, le manque de moyens se fait là aussi cruellement ressentir. Deux tiers des habitants du quartier de Watts n'ont pas fini le lycée et un huitième sont illettrés, alors que dans le même temps, la discrimination dans l'emploi s'applique toujours en dehors de l'industrie de la défense. Les prix à la consommation restent également plus élevés pour les Noirs, les commerces tenus par les Blancs ayant l’habitude de sous-payer les employés Noirs tout en maintenant des prix de vente très hauts, rendant, de facto, inaccessibles de nombreux biens. Et si enfin l’on dénombre les brutalités policières incessantes – entre 1963 et 1965, 65 habitants du quartier sont tués par la police, dont 27 dans le dos et 25 désarmés – on a là tous les ingrédients d’une poudrière sociale.
Le soir du 11 août 1965, Marquette Frye, un jeune noir âgé de 21 ans, est arrêté au volant de la voiture de sa mère, où il se fait contrôlé positif à l’alcool après s’être soumis à un éthylotest. L’officier de police en charge, Lee Minikus, procède donc à son arrestation pour conduite en état d’ivresse et appelle une équipe en renfort pour se saisir du véhicule. C’est alors que le frère de Marquette, Ronald Frye, également présent, part chercher leur mère, Rena Price, qui arrive quelques minutes plus tard sur le lieu de l’incident. Le ton monte devant un attroupement de passants et de policiers de plus en plus important. Entre bousculades, cris, coups, les agents de police sont rapidement dépassés si bien qu’ils tentent d’embarquer Ronald Frye par la force. Les témoins de la scène préviennent alors d’autres habitants du quartier. Un policier aurait, en outre, frappé une femme enceinte, ils accourent désormais en masse.
Le résultat : six jours d’émeutes, où du 11 au 17 août 1965, le quartier tout entier se transforme en véritable champ de bataille. Le chef de la police William H. Parker n’hésitant pas à faire intervenir l’armée et établir une zone de couvre-feu de 100 km². Au final, plus de 15 000 hommes des forces de l’ordre seront mobilisés. Le bilan se porte à 34 morts, quelques 1000 blessés et près de 3500 arrestations. Les ghettos s’embrasent, de nombreux bâtiments et véhicules étant incendiés au cri de Burn Baby Burn (brûle, bébé, brûle). Trois ans plus tard, on entendrait résonner ces mêmes mots à la mort de Martin Luther King. Cette fois-ci l’insurrection toucherait tout le pays.
Pour l’heure, la préoccupation des Black Panthers sera de tout faire pour transformer Huey Newton en prisonnier politique. Tout l’enjeu pour le parti étant de parvenir à s’imposer comme une voix contestataire légitime et s’inscrire durablement dans la mouvance radicale de gauche californienne.
La tâche s’annonce difficile. Au moment où Newton se fait arrêter, le parti ne compte guère plus que les quelques membres qui forment son organigramme. À savoir, le Président Bobby Seale, le ministre de la Défense Huey P. Newton, le porte-parole et ministre de l’Information Eldridge Cleaver, ou encore la secrétaire aux Communications Kathleen Cleaver.
Cette ancienne recrue du SNCC, elle occupait un poste de secrétaire dans la division de New York, connaît parfaitement les rouages et la mécanique organisationnelle d’un mouvement de grande ampleur. Elle, qui rejoint les Blacks Panthers en 1967 et se marie à Eldridge Cleaver en décembre de la même année, sera donc en charge de la campagne en vue de la libération de Huey Newton. Des alliances allaient s’avérer plus que nécessaires, d’une part pour élargir la base du parti et d’autre part, pour disposer d’une structure opérationnelle capable d’orchestrer la campagne.
Un premier rapprochement va être mené avec le tout nouveau parti californien Peace and Freedom. Ce parti politique à majorité blanche, milite notamment pour le droit des femmes, combat fermement la guerre au Vietnam, et souhaite un soutien plus marqué du gouvernement au mouvement des Droits Civiques, dont il juge la politique et les mesures prises, trop lentes et pas assez efficaces.
En janvier 1968, ce sont plus de 100 000 militants qui sont encartés au parti, qualifiant ainsi Peace and Freedom pour le scrutin de novembre 1968. Une alliance avec les Blacks Panthers signifiait un accès privilégié au vote noir de la baie de San Francisco. Quant aux Blacks Panthers, cela leur permettait de diffuser leur message au-delà de la communauté noire, faisant de Huey Newton le héros-martyre de toute la gauche radicale. Newton allait être jugé par un jury principalement composé de Blancs, face à un juge blanc et des avocats blancs, il était donc primordial d’insister sur le caractère racial du procès, tout en s’appuyant sur une large base de supporters, qui plus est, blancs et très actifs.
Le coup de maître ne se fera pas attendre. À l’occasion de l’anniversaire de Huey Newton, le 17 février 1968, deux galas sont organisés, l’un à Oakland, et un autre le lendemain à Los Angeles, sous l’égide commune des Blacks Panthers et du parti Peace and Freedom. Rassemblant près de 5000 manifestants en soutien à Huey Newton, le slogan « Free Huey! » (« Libérez Huey ! ») devient le cri de ralliement de la protestation, il sera désormais imprimé sur des badges et des tee-shirts.
L’évènement est également marqué par l’annonce d‘un partenariat avec le SNCC, l’opportunité pour Stockely Carmichael de prendre la parole. La prise est de taille, Carmichael étant considéré comme l’un des activistes noirs les plus célèbres dans le monde. Les cadres du SNCC sont d‘ailleurs nommés à des postes clés de l’organisation. Stockely Carmichael occupe ainsi la fonction de Premier ministre d’Honneur et H. Rap Brown celle de ministre de la Justice. L’union ne dure toutefois qu’un temps, avant de se distordre quelques mois plus tard, butant sur l’intransigeance du nationalisme noir prôné par le SNCC, qui voyait donc d’un très mauvais œil l’alliance avec les Blancs du parti Peace and Freedom. Mais en cette mi-février, le coup médiatique est lui bien réel. Alors les Black Panthers ne vont pas s’arrêter là.
Tous les jours, des manifestations se tiennent aux abords du tribunal d’Alameda, faisant du palais de justice le point de mire des activistes, des sympathisants, de la police et des médias. Ces derniers vont s’en donner à cœur joie. Les Blacks Panthers attirent. Avec leur coupe afro, leur béret, leurs lunettes de soleil, et leur veste en cuir noire, ils ont un look qui détonne et mènent fière allure. Tout le monde se les arrache, presse écrite et télévision, les papiers à leur sujet font vendre.
Le parti va également s’assurer de la présence régulière d’un certain nombre de ses membres et sympathisants dans la galerie publique de la salle d’audience. L’objectif étant d’une part, de montrer à Newton que les Black Panthers ne l’abandonnaient pas, de maintenir une pression constante sur le jury, et d’autre part, de suggérer aux Blancs que le mouvement était bien plus puissant qu’ils ne pouvaient l’imaginer, les personnes présentes à la salle d’audience ne formant en théorie que la partie émergée de l’iceberg. La révolution était en marche.
Cette stratégie ne sera pas sans conséquence sur les membres du parti. À mesure que les manifestations prennent de l’ampleur, la répression policière envers les Black Panthers s’intensifie. Aux yeux du FBI, la campagne pour libérer Huey Newton, ne fait que confirmer la nécessité de neutraliser l’organisation. Bobby Seale est ainsi arrêté chez lui, accusé de complot en vue de commettre un meurtre.
Les Cleaver, qui habitent un appartement sur Oak Street, sont eux constamment surveillés par le FBI. Suspectés de cacher des armes, des perquisitions sont régulièrement menées à leur domicile. L’ébullition est donc palpable lorsque Joan Didion vient leur rendre visite fin février. Ce même jour, Eldridge Cleaver publie Soul On Ice (Un Noir à l’ombre). Dans le livre, il revient sur son passé de criminel et relate son expérience à la prison de Folsom, en Californie.
Arrêté à l’âge de 18 ans pour trafic de marijuana, il est une nouvelle fois condamné en 1958, cette fois-ci pour viol, agression et tentative de meurtre. Le passage où il explique comment il concevait le viol comme un acte d’inspiration politique fera grand bruit. Il admet d’ailleurs s’être attaqué initialement à des femmes noires dans le ghetto, dans le but de « s’entraîner », avant de poursuivre et se lancer dans une série de viols de femmes blanches. La prison l’ayant transformé, il dira renoncer sans équivoque à la pratique du viol et à sa justification insurrectionnelle.
Le succès du livre est en tout cas immédiat. Des centaines de milliers d’exemplaires sont vendus, propulsant Eldridge Cleaver, et à fortiori les Black Panthers, sur le devant de la scène internationale. Contre toute attente, Eldridge Cleaver devient même la caution de la gauche intellectuelle. Relâché en 1966 en liberté conditionnelle, la surveillance de Cleaver n’était censée prendre fin qu’en 1971. Les Sixties avaient ceci de magnifique que tout le monde semblait croire pouvoir se réinventer. La présence du contrôleur judiciaire chez les Cleaver, au moment de la visite de Joan Didion, démontre que ce n’était pas tout à fait le cas.
Huey Newton était devenu le symbole de la lutte afro-américaine contre le pouvoir blanc. Preuve de cette soudaine notoriété, les interviews s’enchaînent pour le co-fondateur des Blacks Panthers. Joan Didion n’était donc pas la seule à lui porter intérêt. Lors de leur entretien, un présentateur radio et un journaliste du Los Angeles Times se trouvent également présents. Eldridge Cleaver, lui-même, est de la partie.
Héros politique oblige, tout le monde souhaite un bout de parole divine. Il fallait des déclarations pour combler la presse et les militants. Ainsi on pouvait entendre Huey Newton citer James Baldwin : “To be Black in America is to live in a constant state of rage.” (Être noir [et conscient] en Amérique, c'est être dans un état de rage perpétuel.) Personne ne pouvait alors imaginer que quelques semaines plus tard, Martin Luther King se ferait assassiner, tué d’une balle dans la gorge, tandis qu’il prenait l’air sur le balcon de son motel à Memphis, Tennessee. Encore l’acte haineux d’un ségrégationniste.
La réponse n’allait pas tarder. Des émeutes éclatèrent dans plus de cent villes américaines. Washington, Chicago, Detroit, Boston, New York, pour n’en citer que quelques-unes. Ne pouvant contenir leur colère et leur indignation, la douleur des Noirs allait s’exprimer par de violentes destructions. Les ghettos s’embrasèrent à nouveau. À Washington, la tension était telle que des mitrailleuses furent placées sur les marches du Capitole. Au terme de trois semaines de troubles, on comptait déjà près de 20 000 arrestations.
Sur la tombe de Martin Luther King est gravée cette épitaphe extraite d’un vieux negro-spiritual, la musique sacrée des esclaves noirs :
Free at last, Free at last
Thank God Almighty, I’m free at lastEnfin libre, Enfin libre
Merci Dieu Tout-Puissant, Je suis enfin libre
Il avait chanté ces mêmes mots à la fin de son incroyable discours “I Have a Dream” en 1963. Malheureusement, en ce 4 avril 1968, la mort semblait toujours la seule libération possible pour les Noirs d’Amérique.
En représailles, Eldridge Cleaver décide de s’en prendre à la police. Selon lui, pour rester à l’avant-garde, les Black Panthers se doivent de réagir fermement. Il parle donc de son projet à des membres du parti d’Oakland. Les plus âgés refusent tous en bloc, pour eux c’est du suicide. Mais les plus jeunes ne sont pas du même avis. Ainsi, le 6 avril 1968, Eldridge Cleaver et 14 autres Blacks Panthers tendent une embuscade à une patrouille d’officiers de la police d’Oakland. Parmi eux, Bobby Hutton, le trésorier du parti. Les Blacks Panthers sont armés de fusils de chasse et de M-16, ces fusils d’assaut utilisés par l’armée américaine. La police, qui essuie des tirs, accule alors les Black Panthers dans une maison. Retranchés dans la cave, celle-ci prend feu suite à un tir de grenade lacrymogène. Pour ne pas brûler vifs, les Blacks Panthers choisissent donc de se rendre. Bobby Hutton sort le pemier les mains en l’air. Il est abattu sur-le-champ. Il n’a que 17 ans. Cleaver lui avait bien conseillé de se déshabiller complètement, mais pudique, Hutton garda son pantalon. Durant la confrontation, deux policiers seront touchés, Cleaver lui-même en sort blessé. Après ce fiasco, et afin d’éviter la prison, Eldridge Cleaver s’enfuit à Cuba, avant de finir par s’exiler en Algérie en 1969.
La guerre n’a que faire de ce qu’il se passe au pays et continue à faire rage. 1968, sera l’année la plus meurtrière côté américain, avec la perte de près de 17 000 hommes. Soit presque autant que les morts comptabilisés depuis le début du conflit jusqu’à la fin de l’année 1967. C’est dire de l’intensité des affrontements qui ont lieu chaque jour.
Depuis leur canapé, les Américains observent effarés, les housses mortuaires de soldats s’empiler. Les bombardements massifs s’étendent depuis longtemps déjà au Laos, puis au Cambodge, bases arrière supposées du Viêt-Cong. À la télévision, « les témoignages se multipliaient sur les conditions de détentions dans les prisons sud-vietnamiennes, les tortures que subissaient les prisonniers en présence de conseillers américains dont certains participaient directement aux séances. Des récits de massacres de civils dans des villages venaient s’ajouter aux images de bombardements quotidiens que subissait Hanoï.[5] »
L’organisation étudiante de gauche, Students for a Democratic Society (SDS), formée au début des années 1960, dans un contexte de course à l’armement nucléaire, était devenue l’une des principales voix d’opposition à la guerre du Vietnam dans la sphère étudiante. Ses préoccupations étaient variées et couvraient des sujets allant de la justice économique et sociale à la lutte pour les Droits Civiques, du démantèlement des monopoles privés à la promotion de la démocratie participative.
Présente dans plus de 50 campus à travers le pays et fière de quelques 100 000 membres, elle organise d’abord les « 10 Jours de la Résistance » (Ten Days of Resistance). Sit-ins, “teach-ins” (petites conférences sur les problématiques du moment), rassemblements et marches de protestations se succèdent dans les universités américaines. Le 26 avril, ce sont près d‘un million d’étudiants qui se mettent en grève dans tout le pays. Du jamais vu.
Sur le campus de Columbia, les évènements prennent une tournure plus militante. Le 23 avril, les étudiants se barricadent à l’intérieur des bâtiments universitaires, allant même jusqu’à prendre en otage, pendant 24 heures, le doyen de l’université Henry S. Coleman. Leurs griefs ? D’une part, l’association de l’université avec l’IDA (the Institute for Defense Analyses), un think-tank aux liens étroits avec le Pentagone, et qui consacre sa recherche à l’armement de guerre. Et d’autre part, le projet de construction d’un gymnase entre Harlem et Morningside Heights, susceptible d’induire une ségrégation de fait et non voulue dans la communauté.
Le 30 avril, après huit jours d’occupation, les étudiants sont délogés par la force après l’intervention de la police départementale de New York, le NYPD. Cela dit, l’université acceptera par la suite de se dissocier de l’IDA et abandonnera son projet de gymnase, prouvant aux étudiants que leurs actions pouvaient mener au changement. Columbia devenait alors le symbole de la révolte étudiante.
La société civile n’était pas en reste. Le 27 avril, des centaines de milliers de personnes défileront dans 17 villes du pays pour protester contre la guerre du Vietnam et dans certains cas contre le racisme. À New York, plus de 100 000 manifestants se retrouvent ainsi au Sheep Meadow de Central Park.
À Berkeley, les étudiants ne se cachent même plus. Une cérémonie, appelée “Vietnam Commencement” se tient sur le campus le 27 mai, dans laquelle étudiants et membres de la faculté, signent un serment où ils expliquent refuser de participer à la guerre et proclament ensuite ouvertement devant l’assemblée :
Our war in Vietnam is unjust and immoral. As long as the United States is involved in this war I will not serve in the armed forces.
Notre guerre au Vietnam est injuste et immorale. Aussi longtemps que les États-Unis seront impliqués dans cette guerre, je refuserai de servir dans les forces armées.
(Archives de l’Université de California, Berkeley. Cf. Notes en bas de l’article).
On comptera quelques 900 signataires. Ronald Reagan, alors gouverneur de Californie, qualifiera cette cérémonie d‘indécente, à la limite de l’obscénité. Bien que légal, ce rassemblement était pour lui plus que méprisable. L’ironie voulant qu’il soutienne le fait que l’unique raison qui empêchait ces manifestants de se rendre coupable de trahison, était l'absence de déclaration de guerre officielle des États-Unis contre le Nord-Vietnam.
Le climat était tel, qu’il devenait désormais évident pour tous les responsables politiques en lice à la présidentielle, qu’il fallait mettre un terme à cette guerre. Toute la question restait de savoir comment. En attendant, la campagne électorale allait reprendre ses droits.
Robert Kennedy remportait tour à tour les primaires dans l’Indiana et le Nebraska, avant de subir un net revers dans l’Oregon face à McCarthy, le 28 mai. Pour garder ses chances et obtenir son ticket pour la convention démocrate du mois d’août à Chicago, il lui fallait absolument gagner la primaire de Californie. Après de multiples frayeurs ce sera chose faite le 4 juin et avec une large victoire de 46%. Le clan Kennedy pouvait retrouver le sourire et des milliers de jeunes avec. Bobby Kennedy restait encore pour beaucoup le seul espoir crédible d’un véritable changement politique. Après son discours de victoire le 5 juin au matin, à l’Ambassador Hotel de Los Angeles, et alors qu’il s’apprêtait à célébrer le résultat de la primaire, il est plusieurs fois touché par balle dans un corridor de l’hôtel, situé derrière les cuisines. Il meurt le lendemain à 1h44 du matin, au Good Samaritan Hospital, à l’âge de 42 ans.
Cette fois-ci ça en est trop. Même Elvis y va de sa « protest song » avec le titre If I Can Dream, enregistré dans les studios de NBC en juin 1968 pour son Comeback Special de Noël. Et une question qui taraude l’Amérique : Qu’est-elle en train de devenir ?
Malheureusement le pays n’était pas au bout de ses surprises. Arriva le mois d’août et l’heure des nominations à la présidentielle. N’espérant rien obtenir des républicains, les étudiants du SDS, bientôt rejoints par le Mobe (the National Mobilization Committee to End the War in Vietnam) et les Yippies du Youth International Party, décidèrent de se rendre à Chicago afin de faire entendre leur voix et mettre la pression sur les démocrates lors de la convention nationale du parti devant se tenir du 26 au 29 août. L’idée : faire pencher la balance sur un candidat ouvertement anti-guerre.
Toutes les demandes d’autorisation à manifester furent refusées par le maire de Chicago, Richard J. Daley, un des patrons du parti démocrate. Et pourtant, il savait pertinemment que des milliers de jeunes allaient tout de même faire le voyage. Le dimanche 25 août, veille du démarrage officiel de la convention, environ 10 000 personnes se retrouvent ainsi à vouloir camper au Lincoln Park. Si l’ambiance est d’abord festive, entre danse, musique et séances de yoga improvisées, aidée par les quelques peu délurés Yippies, qui mêlant happening et politique, n’hésiteront pas à débarquer avec leur propre candidat, un cochon de 90 kilos prénommé Pigasus, la tension allait rapidement monter aux abords du parc.
Daley, voulant faire respecter « la loi et l’ordre » à Chicago, mots qu’il aurait pu arracher de la bouche de Nixon fraîchement investi par son parti lors de la convention républicaine, le 5 août à Miami, Floride, venait de mettre sa ville en quasi état de siège. Pour cela, il fit appel ni plus ni moins, à 12 000 policiers, 5600 hommes de la Garde Nationale de l’Illinois et 5000 soldats venus tout droit de la base militaire de Fort Hood au Texas. L’Amphithéâtre International où devait se tenir la convention, ressemblait à une véritable forteresse entourée de fils barbelés. Un couvre-feu à 11 heures du soir dans les parcs de la ville avait par ailleurs été instauré, contraignant les manifestants à évacuer les lieux. Chaque soir, ils se feront déloger un peu plus violemment à coups de matraque et de gaz lacrymogène.
Bientôt ces scènes de violences reflèteraient l’atmosphère à l’intérieur du hall de la convention. Le parti démocrate était en crise. En manque de leadership incontesté après l’abandon de Johnson et ébranlé par la mort de Robert Kennedy, la convention allait mettre à nu aux yeux de tous, les divisions intenables qui opposaient les délégués de courants politiques aux antipodes les uns de autres, entre libéraux du Nord et conservateurs du Sud. L’union ne pouvant se faire que sur une ligne de crête, les débats autour de la guerre du Vietnam et le choix du prochain candidat démocrate finiront d’envenimer les esprits.
George McGovern, sénateur du Dakota du Sud, était entré dans la course. Du côté des opposants à la guerre, il y avait un espace libre et Robert Kennedy disposaient de nombreux délégués qui allaient désormais se partager entre McGovern et McCarthy. Le Vice-président Hubert H. Humphrey s’était également déclaré candidat. Appuyé par Johnson, il pouvait compter sur le soutien des barons du parti qui contrôlaient suffisamment de délégués pour passer outre le processus des primaires et la sanction du vote populaire, ce qui évidemment en irritera plus d’un.
Invectives, cris et bousculades rythmaient les débats. Le sénateur du Connecticut, Abraham A. Ribicoff allant même jusqu’à déclarer qu’avec McGovern comme Président, ils n’auraient pas eu affaire à des tactiques dignes de la Gestapo dans les rues de Chicago. Le maire Richard J. Daley leva le poing, on pouvait désormais entendre des insultes fuser de toute part. Dan Rather, journaliste réputé qui couvrait la convention pour la chaîne CBS, se fit violemment empoigner par les agents de la sécurité alors qu’il tentait d’interviewer des délégués. Le spectacle était lamentable.
À l’extérieur, les manifestants s’étaient regroupés en face du Grant Park, à côté de l’hôtel Conrad Hilton où séjournaient la plupart des délégués dont Humphrey et McCarthy, lorsque l’impensable arriva. Pendant près de vingt minutes, les forces de l’ordre littéralement déchaînées, se mirent à rouer de coups, sans aucune retenue, toutes les personnes présentes sur place. Les gens hurlaient. Certains, ensanglantés, se faisaient traîner par les pieds jusqu’aux fourgons de police dans un chaos le plus total.
There were pools of blood on Michigan Avenue.
Il y avait des flaques de sang sur Michigan Avenue.
(Gloria Steinem, journaliste, dans l’épisode 8 : « 1968 » de la série documentaire sur les Sixties. Cf. Notes en bas de l’article).
Les Américains assistèrent à ce lynchage en direct depuis leur poste de télévision. Une véritable scène de carnage. La foule en colère scandait : “The whole world’s watching!” (« Le monde entier vous regarde ! ») Plus tard dans la nuit, c’est finalement le Vice-président Humphrey qui fut investi candidat au nom du parti. Les sourires n’étaient que de façade, toute illusion d’unité au sein de la famille politique venait de voler en éclat. Les démocrates ne semblaient plus en mesure d’apaiser la nation. Le contraste avec la convention républicaine, qui se déroula dans une atmosphère des plus conviviales, marquée d’un enthousiasme certain, était cinglant.
Le 5 novembre 1968, les Américains ont semble-t-il fait le choix d’un retour au calme. Richard Nixon remporte la présidentielle et est élu 37ème Président des États-Unis. On peut tout de même saluer la performance d’Humphrey qui ne perd que par un écart de moins de 50 000 voix, dans ce qui restera l’une des élections les plus serrées de l’histoire américaine.
Lorsque par une matinée du mois de novembre, Joan Didion se rend au San Francisco State College, elle ne sait pas encore qu’elle sera aux prises de la plus longue grève étudiante sur un campus américain de l’histoire du pays. Elle qui manqua Berkeley et Columbia, avait promis d’assister à la révolution en cours à San Francisco. Elle en ressortira tout simplement déçue, interloquée par les scènes de « désordre » dont les protagonistes semblaient chacun jouer un rôle dans ce qui tenait davantage d’« une comédie musicale » que d’une démarche sérieuse et réfléchie.
Tout commença le 1er novembre 1968 avec la suspension de George Mason Murray, étudiant de 3ème cycle dans l’UFR d’anglais et ministre de l’Éducation du Black Panther Party. Embauché à temps partiel comme professeur dans ce même UFR, il était chargé d’enseigner des cours d’introduction à l’anglais pour les minorités étudiantes admises à l’université sous un programme spécial. Suite à des propos jugés incendiaires qu’il aurait tenu, le conseil d’administration de l’établissement allait forcer sa mise à l’écart.
Ainsi, lors d’un meeting au Fresno State College (Californie), il aurait supposément déclaré : "Nous sommes des esclaves, et le seul moyen de devenir libres est de tuer tous les maîtres d’esclaves. » Au San Francisco State College, il aurait cette fois-ci conseillé aux étudiants noirs de ramener des armes à feu sur le campus afin de se protéger des administrateurs blancs et racistes.
L’incident sera le déclencheur de multiples confrontations dans l’enceinte même de l’université. La suspension de Murray étant considérée comme raciste et autoritaire, elle reflétait selon les étudiants les dérives même de la société américaine. Le 6 novembre, ils allaient donc entamer une grève qui durerait près de cinq mois. À la manœuvre, les étudiants noirs du Black Student Union, les membres du Third World Liberation Front (Front de Libération du Tiers-Monde) une coalition des différentes organisations représentant chaque minorité et les sympathisants à majorité blanche du SDS (Students for a Democratic Society).
Face à eux, le président de l’université, S.I. Hayakawa, serait intraitable. En accord avec le conseil d’administration et le gouverneur de Californie, Ronald Reagan, il autorise de multiples descentes de police au sein même du campus afin d’y rétablir l’ordre. Matraque au poing, des centaines d’étudiants seront ainsi arrêtés non sans y avoir laissé d‘abord quelques plumes.
Les demandes principales des étudiants tournent autour de l’inclusion raciale. Les étudiants noirs souhaitent davantage de visibilité, tant au niveau du nombre des élèves admis issus des différentes minorités que sur celui des professeurs de couleur recrutés. Ils veulent d’autre part que le programme académique lui-même soit en phase avec leurs questionnements et leurs préoccupations du moment et puisse ainsi offrir une réponse à la problématique de leur place dans la société américaine. Ils étaient désireux d’apprendre sur leur histoire et leur culture afin d’acquérir les outils qu’ils pourraient transmettre en retour à leur communauté respective.
Si l’ambiance semble pour le moins festive, un optimisme de circonstance gagnant les troupes, seuls les militants noirs pouvaient être considérés comme « sérieux » selon Joan Didion. Très critique envers les étudiants blancs du SDS, elle observe alors avec amusement les éléments de langage de ces jeunes bourgeois se prenant soudain pour des guerilleros. En effet, durant la décennie 1960, une cinquantaine de pays accèdent à l’indépendance.[6] Un vent de liberté souffle sur le monde et le mot « révolution » s’échappe de toutes les lèvres.
Et elle est alors loin d’être la seule à penser que les militants du SDS ne se composaient finalement que de simples jeunes blancs privilégiés issus de banlieues cossues dont les parents, peut-être malgré eux, continuaient de rendre difficile la libération et l’épanouissement des différentes communautés qu’ils défendaient pourtant ardemment. Et c’est bien là tout le paradoxe.
Les années soixante constituent ce que l’on peut appeler l’âge d’or de l’idéalisme dans l’histoire de la jeunesse américaine. Jamais autant de gamins de la classe moyenne n’auront eu le temps, l’énergie et l’argent pour exprimer leurs opinions. Leurs parents ayant insisté sur l’importance même de l’éducation sur leur épanouissement futur, ils commenceront à questionner si ce qu’ils apprenaient dans les établissements d’enseignement supérieur avait une quelconque pertinence avec leur vie, avec leurs valeurs et si le pays allait dans la bonne direction. L’université étant un microcosme de la société, une grande partie des étudiants tout comme certains professeurs étaient portés par ce fantasme plein d’espoir de la révolution sur le campus qui d’une manière ou d’une autre changerait cette société qu’ils jugeaient rigide et oppressive.
Le 20 mars 1969, la grève prit fin. Bazar et bonne humeur auront quand même eu le mérite d’obtenir la création d’un département unique consacré aux Black Studies, un champ de recherche interdisciplinaire regroupant l’étude historique, sociologique, politique et culturelle de l’expérience des personnes noires et garantissant la délivrance d‘un Bachelor of Arts (B. A.) soit l’équivalent d’un diplôme de licence en Sciences Humaines et Sociales. Autre avancée majeure, la mise en place d’une School of Ethnic Studies, la première du genre dans une université américaine. On reconnaissait enfin le droit des minorités à accéder à la connaissance et à un enseignement de qualité sur la réalité du vécu de leur communauté.
À peine trois mois plus tard, ces mêmes étudiants du SDS tiendront leur dernière convention nationale au Coliseum de Chicago. Du 18 au 22 juin 1969, quelques 2000 membres réunis allaient sceller la fin d’une des plus grandes organisations étudiantes de tout le pays. En proie à des querelles idéologiques et des luttes intestines de pouvoir, une faction plus à gauche, The Revolutionary Youth Movement (Le Mouvement de Jeunesse Révolutionnaire) allait donc s’accaparer les commandes de l’organisation étudiante. Un véritable hold-up pour certains, une évidence pour d’autres.
Nombreux faisaient le constat que les manifestations pacifiques, les pétitions, les sit-ins, ne menaient nulle part. La guerre continuait de régurgiter des cadavres par milliers. Côté américain on en était à un peu moins de 12 000 pour la seule année 1969, soit 49 000 morts au total jusque-là. Mais côté vietnamien l’horreur atteignait des summums. Cette guerre aura coûté la vie à environ deux millions de personnes. De quoi perdre la raison. En empathie avec le peuple vietnamien, une frange plus militante du SDS n’acceptait pas que le gouvernement américain puisse continuer à bombarder et mitrailler villages et hameaux en dépit de leurs nombreuses protestations et qui plus est en leur nom. Ils devinrent alors convaincus de la nécessité de la violence comme préalable à tout changement. Il s’agissait pour eux de ramener la guerre au pays afin d’éveiller les consciences, l’inaction face à un tel drame étant considérée comme de la violence passive. Leur ambition : renverser le gouvernement « impérialiste » américain, combattre le capitalisme et travailler à l’élaboration d’une société plus humaine et globalement communiste.
Ils se feront désormais appeler The Weathermen, inspirés par les paroles de la chanson Subterranean Homesick Blues de Bob Dylan : “You don't need a weatherman to know which way the wind blows” (Pas besoin d’un monsieur météo pour savoir dans quel sens souffle le vent).[7] Autrement dit, tout le monde pouvait se rendre compte qu’une révolution mondiale était imminente et évidemment ils voulaient en faire partie. Passant à la clandestinité, ils allaient bientôt fomenter des attaques à la bombe dans tout le pays.
Mais pour l’heure, l’été suit son cours et l’enthousiasme est quasi général. La date de la mission Apollo 11 approche, avec cet objectif complètement fou de voir les premiers Hommes tenter de débarquer sur la Lune. Le 16 juillet 1969, ce sont des foules entières qui vont s’agglutiner autour du Centre Spatial Kennedy (le John F. Kennedy Space Center – KSC) situé sur l’île Merritt Island en Floride pour assister au lancement de Saturn V, un mastodonte de plus de 3000 tonnes.
Composé de trois fusées, empilées les unes sur les autres et à l’étage supérieur d’un vaisseau spatial avec à son bord les trois hommes de la mission, Saturn V est capable de placer 118 tonnes en orbite terrestre basse (jusqu’à 2000 km de la Terre), et une charge utile de 47 tonnes vers la Lune, soit le poids cumulé du module lunaire et du module de commande et de service (CSM). Car voici comment les choses allaient se passer.
Arrivés en orbite lunaire, seul le module lunaire baptisé « Eagle » allait descendre sur la surface du satellite naturel. À bord de ce véhicule spatial utilisé pour débarquer les astronautes sur la Lune se trouveront le commandant de la mission, Neil Armstrong, 38 ans, et le pilote du module lunaire Edwin « Buzz » Aldrin, 39 ans. Le troisième astronaute, Michael Collins, 38 ans, pilote du CSM, resterait quant à lui à bord du CSM et en orbite lunaire pendant toute la durée du stationnement de ses deux collègues sur la Lune.
Une fois les objectifs de la mission remplis, Armstrong et Aldrin devront décoller de la Lune et effectuer une manœuvre de rendez-vous avec Collins. L’équipage au complet, le module lunaire pourra alors être abandonné, le module de service étant chargé d’assurer le voyage de retour. Arrivés aux abords de la Terre, le module de service serait à son tour largué, l’équipage effectuant les derniers kilomètres à bord du troisième véhicule spatial, le module de commande, qui jusque-là était donc groupé au module de service avec lequel il formait le CSM.
La prouesse technique et humaine de la mission s’avère sans commune mesure. L’Amérique, comme une grande partie du monde, retient son souffle. Sur le site de lancement on compte près d’un million de spectateurs et dans la tribune officielle c’est tout le gratin de la politique qui se presse aux premières loges. Le Vice-président Spiro Agnew, l’ancien Président Lyndon B. Johnson et son épouse Lady Bird Johnson, le chef d’état major de l’armée américaine, le général William Westmoreland, ainsi que des membres du cabinet, des gouverneurs d’Etat, des maires, des ambassadeurs et plusieurs membres du Congrès. Sans oublier les équipes de radio et de télévision présentes par milliers, l’évènement devant être retransmis en direct dans plus de trente pays. D’aucuns ne voulaient manquer ce moment historique. Le moment où trois jeunes Américains allaient entamer un voyage des plus incroyables à quelques 400 000 kilomètres de la Terre.
Quatre jours plus tard, le 20 juillet à 21h56 heure de Houston (le 21 juillet à 3h56 du matin heure de Paris), Neil Armstrong devient le premier Homme à marcher sur la Lune. L’équipage rentrera sain et sauf selon le scénario prévu. Le succès de la mission Apollo 11 venait concrétiser huit ans d’efforts et ouvrait à l’avenir tous les champs du possible. Le prix à payer ? Plus de 25 milliards de dollars pour l’ensemble du programme. Mais désormais, la supériorité de la puissance américaine était incontestable.
Et pourtant une menace sourde et latente se disséminait déjà dans le pays. « Il se passait des choses étranges en ville. Il y avait des rumeurs. Il y avait des histoires. » (“There were odd things going on around town. There were rumors. There were stories.”)
Dans la nuit du 8 au 9 août 1969, le bad trip tourne à la boucherie. Charles Manson et sa bande de psychopathes débutaient leur périple sanguinaire.
Vers minuit, des inconnus se sont introduits au 10 050 Cielo Drive. La villa a été construite dans les années 1940 pour Michèle Morgan, alors sous contrat avec la RKO. Un havre de paix dans les collines de Benedict Canyon. Cary Grant, Henry Fonda et George Chakiris y ont vécu. Depuis février, Roman Polanski et Sharon Tate la louent 1000 dollars par mois. Après avoir grimpé au poteau en face de la propriété pour sectionner les fils de téléphone, les intrus escaladent pour ouvrir le portail. Dans l’allée, une voiture s’approche : le conducteur [Steven Parent, 18 ans] est tué de quatre balles. Il venait de rendre visite au gardien [William Garettson] qui n’a rien entendu et n’entendra rien : dans son bungalow, il écoute de la musique. Sharon Tate |26 ans] (enceinte de neuf mois) est lacérée de seize coups de couteau au foie, au cœur et aux poumons. Les amis avec lesquels elle passait la soirée sont eux aussi massacrés : Jay Sebring [coiffeur de célébrités, 36 ans] (sept coups de couteau, une balle dans la tête, émasculé), le scénariste Wojciech Frykowski [33ans] (cinquante et un coups de couteau, deux balles) et sa compagne, l’héritière Abigail Folger [26ans] (vingt-huit coups de couteau). Avant de s’enfuir, l’un des meurtriers a écrit sur la porte le mot pig (porc), avec le sang de Sharon.[8]
Pendant toute la durée du massacre, Linda Kasabian, 20 ans, se trouve dehors devant la maison chargée de faire le guet. Nouvelle recrue de la « Famille », elle a débarqué au Spahn Ranch un mois plus tôt. Manson en gourou déjanté y a installé sa communauté. En réalité un gang de paumés qui passe son temps à se défoncer à la benzédrine et à l’acide, un moyen comme un autre de lessiver le cerveau de ces jeunes filles pour la plupart de bonne famille qui voyaient en Manson l’incarnation du Christ. Alors quand ce-dernier prédit l’arrivée imminente d’une guerre apocalyptique entre Blancs et Noirs, surnommée « Helter Skelter », personne ne se pose de questions. Les Noirs devaient en sortir vainqueurs, mais incapables de se gérer, allaient faire appel au « bienveillant » Manson pour les guider. Une telle ineptie en aurait fait s’étrangler plus d’un, mais tout semblant de rationalité paraissait s’être envolé depuis longtemps chez ces jeunes gens.
Voulant précipiter la réalisation de cette prophétie, il demandera à quelques-uns des membres de son culte d’aller commettre des assassinats dans les beaux quartiers de Los Angeles pour ensuite en faire accuser les Noirs, expliquant ainsi les inscriptions utilisant le sang des victimes pour faire penser aux Black Panthers.
Mais où était-il allé pêcher une idée pareille ? Chez les Beatles en personne, qu’il compare aux quatre chevaliers de l’apocalypse. Rien que ça ! En novembre 1968, sortait The White Album, un double album de trente chansons originales à la pochette totalement blanche et sans intitulé. 9ème album de la formation rock britannique, le disque avait été conçu en grande partie en Inde, lors d’un séjour du groupe dans l’ashram de Maharishi Mahesh Yogi, où ils s’étaient rendus en début d’année pour y effectuer une retraite et apprendre les rudiments de la méditation transcendantale. Déjà le début de la fin pour les quatre compères dont la mésentente ne cesse de croître. La présence de Yoko Ono dans le studio d’enregistrement ne fera qu’aviver les tensions. Du coup, chacun compose, arrange, chante dans son coin, souvent sans guère prêter attention à ce que font les autres. Un mélange de titres parfois déconcertant de quatre artistes au sommet de leur art, qui signeront ainsi leur meilleure vente d’album aux États-Unis, avec plus de vingt millions d’exemplaires écoulés et qui restera neuf semaines en tête des charts.
Sur le disque figure le titre Helter Skelter, composé par Paul McCartney. Manson comprenait ces mots dans le sens de chaos et confusion alors qu’en Grande-Bretagne le terme désigne une attraction de fête foraine, une sorte de toboggan en spirale. Mais dans son délire extravagant, il était convaincu que les Beatles lui envoyaient un message personnel. Son obsession pour le groupe était né en prison, lui qui y avait alors déjà passé plus de la moitié de sa vie, condamné pour divers crimes allant du vol à des agressions sexuelles en passant par du proxénétisme. En 1967, à 33 ans et enfin libre, il se rêve d’une carrière similaire et cherche donc à percer dans le milieu de la musique.
Muni d’une guitare, il fait d’abord la manche du côté de Berkeley à San Francisco, où peu à peu il rassemble ses premiers disciples, avant de s’aventurer dans les faubourgs de Los Angeles. Au printemps 1968, Dennis Wilson, le batteur des Beach Boys, prend en autostop deux jeunes filles qu’il ramène chez lui pour quelques heures dans sa maison de Pacific Palisades. Le lendemain alors qu’il rentre d’une nuit passé en studio, il sera à sa grande surprise accueilli par Manson dans l’allée privée de son domicile. À l’intérieur douze membres de la « Famille » prennent déjà leurs quartiers. Ce nombre allait doubler dans les mois à venir. Wilson se propose alors de couvrir leurs dépenses. Il chante et parle musique avec Manson et va même jusqu’à lui payer des séances en studio d’enregistrement, tout en profitant évidemment des « services » offerts par les jeunes filles sur place.
De cette amitié inattendue avec Wilson, on retrouve la trace sur l’album 20/20 des Beach Boys paru le 10 février 1969 chez Capitol Records. Dessus figure le titre Never Learn Not to Love. Sorti en décembre 1968, en face B du single Bluebirds over the Mountain, il fut composé à l’origine par Charles Manson lui-même sous le nom Cease to Exist. Les Beach Boys allaient garder la mélodie mais changer presque toutes les paroles, ce qui rendit Manson fou de rage d’autant qu’aucun crédit ne lui sera attribué. Il avait cependant accepté une somme d’argent et une moto en échange de ses droits. Cela ne l’empêchera pas de menacer Dennis Wilson et sa famille de meurtre.
Préalablement à cet incident, Manson et ses acolytes squatteront chez lui encore quelque temps avant que Wilson, locataire, ne déménage et que le propriétaire ne finisse par les expulser. Nous sommes alors en août 1968, et la « Famille » trouve refuge au Spahn Ranch.
Situé aux abords de Chatsworth dans la San Fernando Valley au nord-ouest de Los Angeles, cet ancien ranch de cinéma dont les décors étaient utilisés pour tourner des westerns, surplombe ainsi Topanga Canyon. Mais voilà, le western n’est plus à la mode et les équipes de tournage ont depuis longtemps plié bagages. Cet endroit devenu désert et délabré était donc le point de chute parfait pour une bande de hippies souhaitant vivre en communauté.
Le propriétaire des lieux, George Spahn, un vieillard quasi aveugle de 80 ans, ne survivait qu’avec les maigres revenus que lui procurait une activité de location de chevaux et dont allaient maintenant s’occuper Manson et ses adeptes en échange d’un hébergement gratuit. À la demande de Manson, les filles iront souvent lui rendre des visites plus qu’amicales, sûrement une autre part du deal.
Il n’était pas rare de rencontrer ces individus à certains coins de rue de Los Angeles fouillant les poubelles pour trouver de quoi manger, à tel point que dans le voisinage on les surnommait déjà les Garbage People. À court d’argent, ils prirent l’habitude de s’introduire furtivement la nuit dans des résidences privées, alors même que les occupants étaient en train de dormir. Ils emportaient tout ce qui pouvait leur servir et repartaient sans faire de bruit. Vols et autres activités criminelles assuraient donc leurs moyens de subsistance.
Manson avait un comportement de plus en plus erratique frustré que sa carrière musicale ne décolle pas. Terry Melcher, un producteur de disque rencontré par l’entremise de Dennis Wilson refusait de lui signer un contrat et ça le mettait hors de lui. Il ira tenter de le harceler jusqu’à chez lui à plusieurs reprises, mais Melcher avait déjà quitté les lieux, une résidence située au 10 050 Cielo Drive.
Après la nuit tragique du 8 au 9 août, Manson jugeant que le travail avait été « bâclé », ordonnera à ses troupes de recommencer une nouvelle tuerie la nuit suivante. Ils s’arrêteront cette fois-ci dans le quartier de Los Feliz à Los Angeles et choisiront pour cible la maison de Rosemary et Leno LaBianca au 3301 Waverly Drive. Lui 44 ans, était cadre dans un supermarché, et sa femme 38 ans, possédait une boutique spécialisée dans la vente de robes.
Le 10 août aux premières heures du matin, c’est une nouvelle scène de carnage que laisseront derrière eux leurs agresseurs. Leno, qui roupillait sur le canapé au moment où les intrus pénétrèrent dans la maison sera assassiné dans le salon. Son corps ensanglanté gisait par terre, allongé sur le dos, ses deux mains avaient été liées dans le dos avec une lanière de cuir. Un coussin et une taie d‘oreiller lui couvraient le visage. Il reçu douze coups de couteau au niveau du ventre et de la gorge et quatorze incisions causées par une fourchette avec laquelle l’un de ces détraqués écrira le mot « WAR » (guerre) sur son abdomen. Son sang allait être utilisé pour rédiger les inscriptions death to pigs (mort aux porcs) et rise (lève-toi) sur un mur. Sur le frigo de la cuisine on distinguerait le mot Healter Skelter mal orthographié.
Quant à Rosemary qui se trouvait dans la chambre matrimoniale, son cadavre reposait sur le ventre au milieu d’une énorme flaque de sang. Sa tête recouverte par une taie d’oreiller et le fil électrique d‘une lampe autour du cou, elle fut poignardée quarante-et-une fois.
S’il y avait encore besoin de démontrer le caractère sociopathe de ces criminels qui venaient de commettre une nouvelle atrocité, on peut noter que sans le moindre remord, ils n’hésiteront pas à faire une pause casse-croûte en dévalisant le réfrigérateur, à s’amuser avec le chien du couple fraîchement assassiné ou même à prendre une douche avant de rentrer tranquillement au Spahn Ranch en autostop.
En ce dimanche matin, l’Amérique allait se réveiller avec une gueule de bois carabinée. Cette série de meurtres sonnaient définitivement le glas de la contre-culture des années 60. Tout zeste d’innocence venait de s’évaporer sous la chaleur californienne.
Linda Kasabian recevra l’immunité contre son témoignage à charge accablant lors d’un procès qui s’avéra à l’époque l’un des plus longs et des plus chers de l’histoire judiciaire américaine. Présente dans la voiture qui mena ses compagnons jusqu’à la résidence des LaBianca, tout comme Manson d’ailleurs, elle repartit sitôt les instructions données par ce-dernier et n’assistera donc pas à cette deuxième tuerie. Deux jours plus tard, enceinte de son deuxième enfant et avec sa fille d’un an sous le bras, elle s’enfuirait du Spahn Ranch pour retourner dans le New-Hampshire où vivait sa mère et où elle avait passé une grande partie de son enfance.
Le procès allait s’ouvrir le 24 juillet 1970 à Los Angeles et Joan Didion se retrouva à lui acheter une robe qu’elle puisse porter à l’audience. La chose la plus banale qui soit, mais dans des circonstances totalement bizarres.
De ces années, Joan Didion aura une grille de lecture particulière. « Toutes les connexions étaient pareillement significatives et pareillement insensées. » (“All connections were equally meaningful, and equally senseless.”)
En ouvrant le livre de Bertrand Tessier sur la vie de Steve McQueen on apprend que Jay Sebring était son meilleur ami, « l’éternel complice de ses virées, toujours partant pour faire les 400 coups.[9] » Mais également son « candyman ». Il l’approvisionne notamment en marijuana et en cocaïne.
Le 7 août, il passe chez McQueen rafraîchir sa coupe dans sa villa de Brentwood, un autre quartier chic de Los Angeles. Un dîner est prévu le lendemain avec Sharon Tate et des amis à elle chez El Coyote, un restaurant mexicain sur Beverly dans le West Hollywood. Ils finiront ensuite la soirée chez Sharon. C’est tout naturellement que Sebring invite son ami à se joindre à eux ce qu’il s’empresse d‘accepter.
Le lendemain, McQueen demande à sa femme Neile Adams si elle souhaite l’accompagner, mais elle préfère rester à la maison. Il part donc seul et enfourche sa Triumph rejoindre ses copains. En route, il croise le sourire d’une jolie fille. Il n’arrivera jamais à destination. La vie tenait à peu de choses.
À peine une semaine plus tard, comme une parenthèse et en signe d’au revoir, 400 000 jeunes vont converger vers l’Est, direction le Woodstock Music & Art Fair. En réalité, au dernier moment et après maintes péripéties avec la population et les autorités locales, le festival se tiendrait à White Lake, dans la ville de Bethel, comté de Sullivan, dans l’État de New York, à 169 kilomètres à l’ouest de la ville de New York. Mais la légende garderait le nom originel de Woodstock, qui elle se situe au nord de New York, la promotion de l’évènement ayant été faite sur ce lieu des mois durant.
Plusieurs annonces avaient été passées dans la presse alternative pour présenter cette Aquarian Exposition, trois jours de paix et de musique. Les organisateurs tablaient au maximum sur 150 000 personnes en voyant large. Après tout, le festival de Monterey en 1967, avait accueilli 28 000 personnes par jour, ils en prévoyaient le double et une telle estimation semblait déjà plus qu’optimiste. Sur la base de ces chiffres, la ville de Bethel donna son autorisation et un accord fut trouvé avec Max Yasgur, un fermier du coin propriétaire d’une laiterie, pour occuper ses champs.
Le cadre bucolique et vallonné en faisait l’endroit parfait. Mais il ne restait alors plus qu’un mois pour monter la scène et mettre en place des grillages de délimitation. Une tâche titanesque les attendait. Les centaines de personnes travaillant sur le site s’arracheront jour et nuit, mais le jour J approchait et il fallut faire un choix. Priorité fut donné à la scène, on se débrouillerait plus tard pour collecter les tickets d’entrée. 7 dollars la journée, 13 dollars pour deux jours ou 18 dollars pour les trois jours. Le seuil de rentabilité était évalué à 2 millions de dollars, c’est dire les sommes engagées jusque-là.
Autant l’annoncer tout de suite, le festival sera un désastre financier. Dès le premier jour, ce sont 250 000 à 300 000 jeunes qui débarquent. Une véritable marée humaine. Des files d’attentes de voitures se forment sur plusieurs kilomètres, bloquant la circulation sur l’unique route qui relie New York à Bethel.
Les prises de vue aériennes sont impressionnantes. Un amas incessant d’automobiles, sur les voies, les bas-côtés, les rues et champs alentours. Il n’y a pas une place où se garer. Et pourtant, personne ne s’énerve. Une joie irradie les visages, les Aquarian se sont enfin trouvés.
Woodstock a des allures de pèlerinage pour ces jeunes avides de réponses à leurs questionnement sur la vie, le monde et le moule dans lequel on voulait leur faire entrer. En 1965, un Américain sur deux a moins de 25 ans et alors que l’escalade au Vietnam les concernait directement, ils se sentiront complètement ignorés. Pour la plupart en âge de faire la guerre mais pas de voter, aucune expression ni représentation politique ne leur sera permise au Congrès. Alors c’est dans la musique que ces enfants du baby-boom trouveront un peu de réconfort.
Et quelle ne fut pas leur surprise de se rendre compte qu’ils étaient des milliers à ressentir le même malaise face au diktat de l’establishment. Ils n’étaient plus seuls, isolés dans leur famille ou leur petite ville de campagne. Chaque nouvel arrivant sur la Highway 17 éprouve ainsi le même émerveillement face à la multitude. Un nouvel ami, un nouveau frère, une nouvelle sœur se cache derrière chaque portière et avec, l’espoir qui rempli les cœurs. Les paroles de Youngbloods résonnent dans toutes les têtes, l’aventure pouvait commencer.
Come on, people now
Smile on your brother
Everybody get together
Try to love one another right nowAllez, les gens maintenant
Souriez à votre frère
Tout le monde rassemblez-vous
Essayez de vous aimer les uns les autres maintenant
De la scène située en contrebas, on distingue à peine l’horizon tellement il y a de monde. Il devient vite évident qu’il est impossible de contrôler cette foule pour vérifier qui dispose réellement ou non d’un billet. Les grillages mal enfoncés dans le sol sont plus un danger qu’autre chose. On décide carrément de les enlever et libérer le passage. Désormais Woodstock serait un concert gratuit. Les festivaliers applaudissent. La banqueroute assurée pour les organisateurs qui gardent pourtant le sourire, conscients de vivre un moment unique et incroyable.
Les embouteillages monstres rendent impossible l’acheminement des artistes et de leurs instruments par voie terrestre. Déjà très en retard sur la programmation, on demande à Richie Havens d’ouvrir le festival. Son bassiste n’est pourtant toujours pas arrivé. Au bout de deux heures de concert et après son majestueux Handsome Johnny, il improvise Freedom. La foule est conquise, tout le monde vibre à l’unisson. De bon augure pour la suite.
Dans le ciel, un bal continuel d’hélicoptères vient déposer les différents groupes. Les performances s’enchainent et l’ambiance est des plus sereines. Ce premier jour folk se termine avec Joan Baez. Enceinte, son mari David Harris, un Draft Resistant de la première heure, se trouve incarcéré pour refus d’incorporation dans l’armée. Le symbole n’en est que plus fort pour tous ces jeunes qui se trimballent la boule au ventre depuis leurs 17 ans, paniqués à l’idée de devoir partir au Vietnam.
À la tombée de la nuit, de sa voix envoûtante, elle célèbre avec Joe Hill l’héritage des luttes des opprimés en Amérique avant de fredonner a capella Swing Low Sweet Chariot, chanson composée par Wallace Willis, un ancien esclave indien. 300 000 personnes l’écoutent en silence. Le champ illuminé à perte de vue par les briquets et les bougies paraît être envahi de lucioles. Le spectacle est incroyable. Face à la masse présente, le mieux est encore que chacun dorme à sa place le temps de récupérer des forces.
Le deuxième jour serait rock’n roll. Au programme : Creedence Clearwater Revival, Grateful Dead, Canned Heat, Janis Joplin, The Who. Soit les meilleurs groupes du moment. Pas étonnant de voir alors arriver 100 000 personnes de plus sur le site du festival. 400 000 personnes campent désormais sur les champs de Max Yasgur, une ville à elle toute seule.
En ce samedi 16 août 1969, histoire de se mettre en jambes, la matinée commence avec Country Joe McDonald et son Fish Cheer / I-Feel-Like-I’m-Fixing-To-Die-Rag, littéralement « j’ai l’impression d’être sur le point de mourir ». Véritable hymne contre la guerre du Vietnam, les paroles éloquentes reflètent le sentiment de toute une génération. D’un coup la foule se réveille et reprend à tue-tête le refrain.
And it’s 1, 2, 3 what are we fighting for?
Don't ask me I don't give a damn,
The next stop is Vietnam,
And it’s 5, 6, 7 open up the Pearly Gates,
Well there ain't no time to wonder why,
WHOOPEE we're all gonna dieEt un, deux, trois, pourquoi on se bat ?
Ne me demandez pas, je m'en fous,
Prochain arrêt : le Vietnam
Et cinq, six, sept, ouvrez les portes du Paradis
Pas le temps de se demander pourquoi,
Youpie ! On va tous crever !
Quand ils n’assistent pas au concert les Aquarian se baladent au gré des différents stands qui jalonnent le site. Nourriture, art et artisanat, vente de marijuana et d’acide, un oasis à portée de mains. Des séances de yoga sont improvisées. D’autres préfèrent se baigner dans la rivière toute proche.
La Hog Farm, une communauté dirigée par Hugh Romney alias Wavy Gravy a été recrutée pour assurer la sécurité. Habitués des happenings en grand public, ils savent gérer une foule. On est ainsi venu chercher leur expertise. Un peu plus loin dans les bois, ils vont donc installer leurs tentes, une cuisine et même construire une scène alternative. Désignée comme Please Force par antagonisme à une force de police, c’est avec bonne humeur, bienveillance et en s’adressant poliment aux gens qu’ils encadrent les festivaliers. Leur maître mot : l’entraide.
Apparemment l’acide qui circule est de mauvaise qualité. Des annonces sont faites depuis la scène principale pour prévenir l’audience. Évidemment chacun étant libre d’expérimenter, on ne fait qu’énoncer des précautions d’usages et face au grand nombre de personnes les bad trip restent inévitables. On dirige alors les souffrants vers des Freak Out Tents le temps qu’ils se calment et reprennent leurs esprits. Une fois chose faite, ces derniers s’occupent à leur tour d’un nouvel arrivant et ainsi de suite.
Sur le parcours, on trouve également un bureau d’information où les festivaliers peuvent laisser des messages à leurs copains ou leurs familles perdus dans la masse. Les plus urgents sont lus sur scène entre chaque performance car finalement le micro ouvert est la seule source d’information pour tous ces jeunes qui à eux seuls forment un amas comparable aux villes de tailles moyennes américaines.
Cette statistique n’est pas sans apporter son lot de désagréments. Très vite, le nombre de malades s’amoncelle et les diagnostiques s’enchaînent. Pneumonie, fractures, coup de chaleur, maux de tête, allergies, appendicites, otites, pharyngites, gastroentérites… La tente médicale se retrouve à court de médicaments. Personne ne s’attendait à une telle affluence.
Le trafic étant bloqué, les stands de nourriture ne peuvent se ravitailler et sont bientôt à sec. Les festivaliers n’ont plus de quoi manger. La situation devient critique. Les titres dans la presse parlent de désastre. Nelson Aldrich Rockfeller, le gouverneur de l’État de New York, menace d’envoyer la Garde Nationale. Les parents appellent alors paniqués.
Les Aquarian entendent soudain le grondement d’un hélicoptère de l’armée. Tout le monde se regarde anxieux. De la scène on se dépêche d’annoncer : « ils sont avec nous, ils ne sont pas contre nous, ils viennent nous aider ! » À son bord, 45 médecins qui se sont déplacés bénévolement.
Entendant les nouvelles, les populations de White Lake et de Bethel vont faire preuve d’une générosité incroyable. Chacun vide ses placards et partage ce qu’il a dans son garde-manger. On transporte le tout par voie aérienne et la Hog Farm se charge ensuite de cuisiner et distribuer des plats.
Les locaux, agréablement surpris par les bonnes manières de ces « jeunes hippies », qui en ville ont fait la queue pendant des heures devant les magasins encore approvisionnés et payé à prix d’or les denrées sans broncher, se sont mis au diapason. Ils offraient ainsi un autre visage de l’Amérique, où l’intelligence, l’humanité, l’entraide et la compassion permettaient de dépasser les clivages et affronter ensemble les défis du moment. Après tout ces enfants auraient pu être les leurs. Ce geste d’affection symbolisait à lui seul les valeurs de Woodstock.
Le samedi soir, les concerts s’enchaînent jusqu’au petit matin. Lorsque les Jefferson Airplane entrent en scène, la plupart des festivaliers sont déjà presqu’au bout du rouleau et rejoignent doucement les bras de Morphée. La Hog Farm propose plus tard un breakfast in bed. Rien de très gourmet mais de quoi remplir les estomacs. Un bol d’avoines avec du miel et du lait en poudre, mélangés à quelques noix et des raisins secs.
C’est Joe Cocker qui démarre la session du dimanche. On retiendra sa magnifique prestation du titre With A Little Help From My Friends. Alors qu’il finit son set, un nuage noir surplombe la vallée. En l’espace de quelques minutes, un orage terrible s’abat sur la foule. On protège comme on peut les équipements. Le site devient un véritable champ de boue, la presse parle alors de « zone sinistrée ». Certains ayant retrouvé leur âme d’enfant commencent à jouer et se jeter par terre. Nombreux en revanche prennent déjà la route du retour.
Les plus valeureux seront gratifiés par le premier concert des Crosby, Stills, Nash & Young qui ouvrent le bal avec Suite Judy Blue Eyes. The Band et Ten Years After sont également de la partie. Le lendemain, Jimi Hendrix fait retentir le Star-Spangled Banner, l’hymne national américain, à la guitare électrique. Les sons distorsionnés rappellent les bombes et les missiles écrasant le Nord-Vietnam. Les festivaliers sont médusés.
Déjà la fin d’un week-end épique pour ces Aquarian qui repartent tranquillement chez eux. Le retour à la réalité allait être brutal. Pendant trois jours, ces jeunes ont vécu l’utopie d’une vie alternative sans violence et sans conflit. Du jamais vu dans n’importe quelle ville d‘Amérique de cette taille. Woodstock était à eux, leur endroit, un condensé de tout ce qu’ils défendaient et des valeurs auxquelles ils étaient attachés.
I’m a farmer. I don’t know how to speak to twenty people at one time, let alone a crowd like this. But I think you people have proven something to the world. Not only to town of Bethel, or Sullivan County, or New York State, you’ve proven something to the world. The important thing that you’ve proven to the world is that half a million kids… and I call you kids, because I have children that are older than you are… a half a million young people can get together and have three days of fun and music, and have nothing but fun and music. And I God bless you for it.
Je suis agriculteur. Je ne sais pas comment parler à vingt personnes à la fois, encore moins à une foule comme celle-ci. Mais je pense que vous avez prouvé quelque chose au monde. Pas seulement à la ville de Bethel, au comté de Sullivan ou à l'État de New York, vous avez prouvé quelque chose au monde. La chose importante que vous avez prouvée au monde est qu'un demi-million de gamins… et je vous appelle gamins, parce que j'ai des enfants plus âgés que vous… un demi-million de jeunes peuvent se réunir pour trois jours de divertissement et de musique, et ne faire que se divertir et écouter de la musique. Et je vous bénis pour cela.
Max Yasgur
En novembre 1969, Joan Didion regarde les premiers reportages sur My Lai depuis le Royal Hawaiian Hotel à Honululu. L’horreur s’affiche en une des magazines. Le 16 mars 1968, des soldats de la Compagnie Charlie, 1er Bataillon du 20ème Régiment d’Infanterie de l’armée américaine, la plupart à peine âgés de 20 ans et sous les ordres du Lieutenant William Calley, vont froidement exécutés plus de 500 civils. Nous sommes au lendemain de l’offensive du Têt et ils ont déjà perdu une vingtaine d’hommes.
Le village de My Lai est situé dans la province de Quang Ngai, à quelques 150 kilomètres au sud de la base aérienne de Da Nang. Le mot circule comme quoi les communistes du FNL auraient pris le contrôle du hameau. La Compagnie Charlie est donc envoyée dans une mission de recherche et destruction.
Au village, après les premières heures de l’aube, tout le monde s’affaire à préparer le petit-déjeuner. Aucun combattant en vue, juste des hommes âgés, des femmes, des enfants et des nourrissons. Le Lieutenant Calley ordonne pourtant à ses hommes de rassembler les villageois dans les fossés et de tirer dans le tas. Certaines femmes sont violées en groupe et leurs corps mutilés. Alors qu’un petit enfant de deux ou trois ans, protégé par une maman, réussit à s’extirper des corps, et s’échappe en pleurs paniqué, Calley n’hésitera pas à le rattraper et lui tirer dans le dos une balle dans la tête. Les huttes sont incendiées, le village est tout simplement rasé.
La nouvelle du massacre suscite l’indignation internationale et acte irrémédiablement le désastre moral de l’engagement américain au Vietnam.
Le 1er décembre 1969 une Draft Lottery est mise en place, une première depuis 1942 et la Seconde Guerre Mondiale. Les dates de naissance des garçons nés entre le 1er janvier 1944 et le 31 décembre 1950 sont tirées au sort. Il s’agissait de déterminer l’ordre des appelés à l’incorporation pour l’année 1970. Retransmis en direct, les jeunes Américains scrutent alors totalement angoissés les postes de télévision. Allaient-ils « gagner » le ticket direct pour le bourbier vietnamien ? Au pays du show-business, le cynisme était roi. Nombreux étaient encore ceux qui n’en reviendraient pas vivants.
Comme le souligne Jean-Marc Bel, au sujet de cette période, et en lisant cet essai, on ne peut s’empêcher de penser à la réplique de George Hanson interprété par Jack Nicholson dans le film Easy Rider : « Tu sais, c’était autrefois un sacré bon pays. Je ne comprends pas ce qui est allé de travers. » (“You know, this used to be a hell of a good country. I can’t understand what’s gone wrong with it.”) Et Joan Didion de conclure :
« Écrire ne m’a pas encore aidée à percevoir ce que tout cela signifie. » (“Writing has not yet helped me to see what it means.”)
En septembre 1968, Huey P. Newton est reconnu coupable d’homicide volontaire et condamné à une peine de 2 à 15 ans de prison. Le 29 mai 1970, la cour d’appel de Californie annule la condamnation et ordonne un nouveau procès. S’ensuivent deux autres procès au jury indécis qui entraînent de facto leur annulation. Tous les chefs d’inculpation contre Newton seront finalement abandonnés. De Messie adulé en prison, il finit sa vie une fois libre en mafioso paranoïaque.
Eldridge Cleaver retourne aux États-Unis en 1975, et rejoint contre toute attente le Parti républicain.
Le 20 mars 1969, alors que s’achève la grève au San Francisco State College, à l’autre bout du pays, Abbie Hoffman, Jerry Rubin, David Dellinger, Tom Hayden, Rennie Davis, John Froines, Lee Weiner et Bobby Seale sont inculpés par un grand jury accusés de conspiration et incitation à l’émeute lors des manifestations s’étant déroulées aux abords de la convention démocrate en août 1968 à Chicago.
Dans la presse, on les surnomme désormais les « Chicago 8 ». La nouvelle administration Nixon veut frapper du poing sur la table et John Mitchell le tout fraîchement nommé ministre de la Justice allait se faire un plaisir d’incarner la loi et l’ordre. Six des huit prévenus ne sont autres que les leaders des principales organisations de gauche. Abbie Hoffman et Jerry Rubin sont à la tête du Youth International Party, Tom Hayden et Rennie Davis président les Students for a Democratic Society, David Dellinger dirige la Mobilization to End the War in Vietnam et Bobby Seale est l’autre fondateur des Black Panthers. Les mettre sous les verrous offrait une chance au gouvernement d’étouffer toute opposition.
Pour cela Mitchell va s’appuyer sur le « Anti-Riot Act » parfois également appelé « Rap Brown Law » qui criminalise le fait de se déplacer entre les États avec l’intention d’inciter à la violence et donc de promouvoir ou de participer à une émeute. La peine maximum est de dix ans de prison. Cette loi avait été imposée par les « Dixiecrates » au Congrès pour limiter la liberté d’expression des activistes noirs défenseurs des Droits Civiques. Elle assimile ainsi la protestation politique à la violence organisée. Cadeau empoisonné du troisième volet du Civil Rights Act, consacré à abolir toute forme de discrimination concernant la vente, la location ou le financement de logements, elle est signée le 11 avril 1968 par l’ancien Président Lyndon B. Johnson. Martin Luther King vient d’être assassiné une semaine auparavant et les émeutes grondent dans tout le pays.
Tous les prévenus sont représentés par William Kunstler et Leonard Weinglass du Centre pour les Droits Constitutionnels, à l’exception de Bobby Seale dont l’avocat est Charles Garry, le même qui venait d’officier au procès de Huey P. Newton. En septembre 1969, moment où s’ouvre le procès des « Chicago 8 », Charles Garry se trouve à l’hôpital d‘Oakland en train de subir une cholécystectomie (ablation de la vésicule biliaire). À l’audience, Bobby Seale n’a donc pas de représentation légale et est empêché de se défendre, lui qui pourtant n’était présent lors de la convention que le temps de prononcer un discours et était aussitôt reparti. Accusé à tort du meurtre d’un policier dans le Connecticut, il est le seul à se trouver en prison le temps du procès.
Le juge Julius Hoffman, au bord de la sénilité et au comportement plus que perturbant ne laissera pas Bobby Seale s’exprimer. À chaque fois que son nom était mentionné au cours de l’audience, ce dernier ne manquait pas d’interpeler le juge pour lui rappeler le fait qu’il était dans l’incapacité de se défendre et que cela constituait une violation de ses droits constitutionnels. Le juge Hoffman semblait refuser de comprendre que les deux autres avocats présents ne le représentaient pas et ne pouvaient donc intervenir. Après plusieurs outrages à magistrat, Seale dépité le traitera de chien fasciste, de cochon et de raciste. Alors dans une scène surréelle, le juge le fera bâillonner, ses pieds et mains menottés par une chaîne attachée à sa chaise. Dans la salle du tribunal un silence de plomb s’installe. Tout le monde se rend compte de la monstruosité du geste. Le malaise est tel que du côté du ministère public on plaide pour que Bobby Seale soit écarté du procès. Le juge Hoffman finit par accepter et déclare une annulation de procès pour Seale. Il écopera toutefois de quatre ans de prison pour seize outrages à magistrat, chaque outrage comptant pour trois mois de prison.
Abbie Hoffman, Jerry Rubin, David Dellinger, Tom Hayden, Rennie Davis déclarés coupables d’incitation à l’émeute seront condamnés chacun à cinq ans de prison. Une enquête interne du Département de la Justice sous l’ancienne administration avait pourtant mis en évidence que les violences avaient été instiguées par la police de Chicago, mais le juge Hoffman jugera le témoignage irrecevable. Le verdict serait annulé en appel.
Le 4 décembre 1969, le FBI et la police de Chicago orchestrent l’exécution de Fred Hampton, Président des Black Panthers de l’Illinois, à son domicile et en pleine nuit. Neuf personnes endormies se trouvent alors dans l’appartement situé dans le West Side de Chicago. Dans la soirée, Bill O’Neal, un informateur du FBI, a pris soin de droguer Hampton. À 4h45 du matin, sous couvert de rechercher des armes illégales, les forces de l’ordre vont prendre d’assaut la résidence et littéralement mitrailler tous les murs de l’appartement, et ce durant quinze minutes. Une centaine de coups de feu du côté de la police contre un seul tir des Black Panthers. Fred Hampton, qui reçoit plusieurs balles, meurt à tous justes 21 ans. Mark Clark, ministre de la Défense de la branche de Peoria (Illinois), succombe également à ses blessures. Il avait 22 ans.
Les autres survivants, dont Deborah Johnson la compagne de Fred Hampton enceinte de huit mois et demi au moment des faits, seront arrêtés faisant face à de nombreuses accusations bidons parmi lesquelles celles de tentative de meurtre. Le COINTELPRO avait une nouvelle fois frappé.
Le crime de Fred Hampton dont la gentillesse était reconnue de tous ? Être un magnifique orateur dont le talent galvanisait et inspirait les foules.
You can murder a liberator,
but you can’t murder liberation!You can murder a revolutionary,
but you can’t murder a revolution!You can murder a freedom fighter,
but you can’t murder freedom!Vous pouvez assassiner un libérateur,
mais vous ne pouvez pas assassiner la libération !Vous pouvez assassiner un révolutionnaire,
mais vous ne pouvez pas assassiner une révolution !Vous pouvez assassiner un combattant de la liberté,
mais vous ne pouvez pas assassiner la liberté !
En représailles et plus déterminés que jamais, les Weathermen virent « terroristes ». L’État de guerre est déclaré contre les États-Unis. Parmi les membres les plus notoires de l’organisation, on compte Bernardine Dohrn, avocate et ancienne secrétaire nationale du SDS et Mark Rudd, cet ancien boy-scout, leader de la révolte étudiante à l’université de Columbia en 1968. Le meurtre de Fred Hampton exposait selon eux la vraie nature du pouvoir étatique américain, prêt à tuer si nécessaire et sur son propre sol quiconque oserait le défier. Pour mieux combattre cette politique officielle dite de répression systématique, la clandestinité leur semble alors la solution de choix. Le SDS est officiellement liquidé, les attaques à la bombe peuvent commencer. 25 attaques sont ainsi perpétrées par le Weather Underground, dont le bombardement du Capitole en 1971 et celui du Pentagone en 1972. Prévenant les autorités avant chaque détonation, ces explosions ne feront néanmoins aucune victime. Marginalisés, la plupart des membres se rendront d’eux-mêmes à la fin des années 1970.
Le 2 août 1964, George Stephen Morrison, amiral et aviateur naval de la marine des États-Unis, se trouve à bord de l’USS Bon Homme Richard (CV-31), un porte-avions de classe Essex. Il est alors commandant des forces navales américaines dans le golfe du Tonkin au moment où le destroyer USS Maddox se fait attaquer. À des milliers de kilomètres, son fils étudie le cinéma à UCLA (University of California Los Angeles), un certain Jim Morrison.
« Toutes les connexions étaient pareillement significatives et pareillement insensées. » (“All connections were equally meaningful, and equally senseless.”)
Les Accords de Paris signés en janvier 1973 entre les représentants des États-Unis, du Sud-Vietnam et du Viêt-Cong, marquent la fin de huit ans d’engagement militaire américain au Vietnam. Le 29 mars 1973, les dernières troupes de combat américaines quittent enfin le Sud-Vietnam. 7000 employés civils du département de la Défense stationneront toujours à Saigon avant que la ville ne tombe aux mains des communistes le 30 avril 1975, actant ainsi la fin du conflit. Ultime humiliation, les derniers personnels sur place devront s’enfuir héliportés depuis le toit de l’ambassade américaine.
En dehors des deux Guerres Mondiales, la guerre du Vietnam reste la guerre à l’étranger la plus meurtrière dans l’histoire des États-Unis. 58 220 soldats américains y auront perdu la vie.
Notes :
[1] Bel Jean-Marc, En route vers Woodstock : de Kerouac à Dylan, la longue marche des babyboomers, Paris, Éditions Balland, 2004, p. 99.
[2] Ibid., p. 41.
[3] Ibid., p. 92.
[4] Ibid., p. 200.
[5] Ibid., p. 250.
[6] En 1956, le Maroc, la Tunisie et le Soudan accèdent à l’indépendance. En 1957, le Ghana leur emboîte le pas, suivi en 1958 par la Guinée. Entre le 1er janvier et le 31 décembre 1960, ce sont 17 pays d'Afrique subsaharienne, dont 14 anciennes colonies françaises, qui acquièrent dans la foulée leur indépendance : Cameroun, Togo, Madagascar, République Démocratique du Congo, Somalie, Bénin, Niger, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Tchad, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Gabon, Sénégal, Mali, Nigeria et Mauritanie. Cette même année, Chypre devient également indépendante. En 1961, arrive le tour du Sierra Leone, de la Tanzanie, de l’Egypte et de la Syrie. En 1962, suivent l’Algérie, le Burundi, l’Ouganda, le Rwanda, la Jamaïque, Trinité-et-Tobago et Samoa. En 1963 : le Kenya et la Malaisie. En 1964 : le Malawi, la Zambie et Malte. En 1965 : la Gambie, les Maldives et Singapour. En 1966 : le Botswana, le Lesotho, la Barbade et Guyana. Et enfin, en 1968 : le Swaziland, la Guinée Equatoriale, Maurice et Nauru.
[7] Le titre Subterranean Homesick Blues apparaît sur le cinquième album de Bob Dylan Bringing It All Back Home sorti en 1965 chez Columbia Records.
[8] Tessier Bertrand, Steve McQueen : L’envers de la gloire, Paris, Éditions l’Archipel, 2020, Prologue.
[9] Ibid., Prologue.
Ressources :
(Livres et articles de presse)
AP, “Mother Says She Abandoned Girl To Save Her Life”, Progress-Bulletin, 15/12/1970.
Bel Jean-Marc, En route vers Woodstock : de Kerouac à Dylan, la longue marche des babyboomers, Paris, Éditions Balland, 2004.
Didion Joan, L’Amérique - Chroniques, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2009.
Didion Joan, Slouching Towards Bethlehem, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1968.
Didion Joan, The White Album, New York, Simon & Schuster, 1979.
Ginsberg Allen, Howl and Other Poems, San Francisco, City Lights Books, 1956.
Ginsberg Allen, Howl and Other Poems, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 2005 (version bilingue).
Kerouac Jack, Sur la route, Paris, Éditions Gallimard, 1960.
Tessier Bertrand, Steve McQueen : L’envers de la gloire, Paris, Éditions l’Archipel, 2020.
UPI, “Missing Boy Said Murdered”, The Desert Sun, 15/01/1970.
Van Meter William, “The Hustlers and the Movie Star”, Out Magazine, 23/05/2012.
(Références en ligne)
Andersen Chester, “Uncle Tim’$ Children”, The Digger Archives, 1967.
Baker Matthew, “Background to 68 student movements in the United States”, SciencesPo Bibliothèque, 2018.
Kennedy John F., “Televised Address to the Nation on Civil Rights – (french)”, John F. Kennedy Presidential Library and Museum, 1963.
Street Joe, “‘Free Huey or the Sky’s the Limit’: The Black Panther Party and the Campaign to Free Huey P. Newton”, European Journal of American Studies, 2019.
Whitson Helene, “STRIKE!... Concerning the 1968-69 Strike at San Francisco State College”, FoundSF - the San Francisco digital history archive, (s. d.).
“Anti-Vietnam War Protests in the San Francisco Bay Area & Beyond”, Berkeley Library - University of California, 2023.
“Vietnam War U.S. Military Fatal Casualty Statistics”, The U.S. National Archives and Records Administration (NARA), 2022.
(Films)
Easy Rider, film réalisé par Dennis Hopper, 1969.
Woodstock, documentaire réalisé par Michael Wadleigh, 1970.
The Weather Underground, documentaire réalisé par Sam Green et Bill Siegel, 2002.
The Sixties, série de dix documentaires réalisés pour la chaîne CNN et produits par Tom Hanks, Gary Goetzman et Mark Herzog, 2014.
Joan Didion: The Center Will Not Hold, documentaire réalisé par Griffin Dunne, 2017.
Woodstock: Three Days That Defined a Generation, documentaire réalisé par Barak Goodman et Jamila Ephron, 2019.
Black Panthers, documentaire réalisé par Stanley Nelson, 2020.
Joan Didion est décédée le 23 décembre 2021, à l’âge de 87 ans, des suites de la maladie de Parkinson.